Le poursuivant d'amour
aviserez… Si vous pouvez un jour revoir Oriabel, ce sera grâce à Luciane ! Voilà ce que je me dis dans ma petite tête de manant dévoyé !
Il fallait rompre cet entretien, nullement par lâcheté mais parce qu’il apparaissait sans issue. Il fallait également rassurer l’écuyer :
– Combien de lieues de Paris à Coutances ?
– Une centaine. Je me suis informé à Vincennes.
– À raison de dix lieues par jour, cela fait presque deux semaines… Et autant pour revenir à Paris.
– Nous sommes au début de juillet et l’on dit que le roi ne partira pour Avignon qu’à la fin août… Nous avons largement le temps.
– Tu es trop bon pour un homme d’armes !
Le respect et le dévouement naturel de Paindorge le rendaient esclave de l’admiration qui, depuis leur rencontre, régentait ses rapports avec Luciane. Elle eût pu le tyranniser qu’il en eût été flatté plutôt que d’y voir malice.
– Tu es trop bon, mais il m’advient de l’être… Laissons nos chevaux recouvrer leurs forces ; demandons à Goussot de les faire ferrer dès ce jour, et partons pour Coutances mardi ou mercredi prochain. Cela te convient-il ?
– Cela lui conviendra !
– Avant, il nous faut aller au Louvre et voir si l’Archiprêtre y est arrivé ou s’il y arrivera bientôt en grande ou petite compagnie… Trouver son hôtel…
– Oh ! Je vous vois venir : vous voudriez l’occire !
– Cela ne serait que justice pour les affronts qu’il m’a infligés.
– Alors, adieu la Normandie !… Nous serons pris et mourrons sur la hart ! Je ne vous suivrai pas dans cette voie.
– Tu peux tout simplement me suivre jusqu’au Louvre.
– J’y consens… Et elle ? Qu’en faisons-nous ?
– Nous l’emmenons… Elle a connu Londres ; il est bon qu’elle connaisse Paris !
VIII
– Vous semblez bienheureux…
– Je le suis, m’amie. À Vincennes, je me sentais comme immobile. Pas vous ?
Une lippe amincit les lèvres de Luciane et ses paupières s’abaissèrent.
– Oh ! Moi…
– Vous ne regrettez point ni Londres ni Cobham ?
– Comment les regretterais-je ?… Vous ne savez pas ce que c’est qu’être prisonnier… ou prisonnière sans jamais avoir démérité.
Eh bien, si, il savait. Il ne le savait que trop.
– Oubliez vos anciennes chaînes, Luciane. Profitez comme Robert et comme moi du beau temps.
Elle acquiesça mais, semblait-il, à contrecœur. Et d’une voix imperceptiblement plaintive, comme si elle admonestait un malade :
– Cela vous est aisé à vous… N’est-ce pas, Robert ?
Tournée vers Paindorge, elle lui offrait, avec son sourire un peu faible, ses yeux doux et limpides, et la façon dont elle soulevait son petit menton contredisait l’expression avenante de son visage.
– Pas tant qu’il n’y paraît, répondit l’écuyer.
– Ah ! fit-elle. À Londres, les premiers temps, j’ai fait des songes fous. Il m’est advenu d’imaginer que mon oncle Thierry traversait la mer comme vous l’avez fait, Tristan, et surmontait mille épreuves pour venir me sauver… Je le revoyais, bon et généreux comme je l’ai connu… Pour un peu, je lui aurais tendu les bras…
Toute la personne de Luciane, à cet instant, reflétait cette affection avunculaire (506) que Tristan comprenait sans oser lui en faire l’éloge.
– Oubliez ces tristes années, m’amie. Le soleil et Paris vous conjouissent avec joie.
Il se demanda soudain la raison pour laquelle il éprouvait tant de contentement à marcher sans autre but que de se distraire. Jamais il n’avait admiré cette ville. Combien plus belles, plus claires, plus avenantes lui semblaient Carcassonne, Toulouse, Albi. Aujourd’hui, cependant, il aimait à respirer l’air brûlant de la cité. Il découvrait des charmes inattendus aux rives de la Seine envahies, sous leurs feuillages opaques, de pêcheurs, de musards et de lavandières. La véhémence de leurs voix entrecoupées de coups de battoirs ne rendait que plus évidente la torpeur de la cité où le ciel bleuissait le fleuve. Le Louvre immense, bourrelé de tours, inquiétant comme tous les événements qui s’y étaient produits depuis la mort de Philippe le Bel, lui semblait pimpant après l’orage qui, vers midi, en avait nettoyé et vernissé les pierres. Sur les placettes à l’entour palpitait le cœur populacier de la cité. Toutes les rues ombreuses semblaient y converger. Ils les avaient
Weitere Kostenlose Bücher