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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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parcourues lentement, s’immobilisant parfois devant une échoppe afin de regarder ou d’admirer ce qu’on exposait : vêtements, poissons tirés le matin même de la Seine, souliers, affiquets d’hommes ou de femmes. Alors que la misère sévissait partout, Paris déployait ses richesses et ses victuailles ; une beauté sans faste marquait de son cachet les demeures qui ceignaient le palais royal, et tous les bruits étaient bons à entendre : tant de cités avaient été anéanties ou, par peur, réduites à un silence attentif.
    Sitôt sortis de l’armurerie, ils étaient partis d’un pas leste, satisfaits d’avoir obtenu à peu de frais le gîte et le couvert, et insoucieux des grondements de l’orage. Paindorge avait voulu montrer à Luciane la Fontaine du Ponceau, entre l’ancienne Porte Saint-Denis et la nouvelle. C’était là, lorsque le roi ou un souverain étranger faisait son entrée dans Paris, que se donnaient des spectacles extraordinaires. On y voyait souvent des femmes nues, dans l’eau courante, jouer aux nymphes marines. C’était aussi en cet endroit que commençait la voie triomphale qui, par le Châtelet et le Grand-Pont, aboutissait à Notre-Dame. Ensuite, ils étaient partis vers le Louvre, par les berges. La grêle les avait précipités sous un porche. Afin de mieux courir, les deux hommes avaient pris la main de Luciane – Tristan dans sa senestre, côté cœur, et Paindorge l’autre. Depuis, ils ne la lâchaient plus. L’aisance légère de la jouvencelle s’accommodait de leur rudesse de guerriers. Parfois, une étincelle joyeuse scintillait au bord de ses cils : le fait qu’ils se fussent concertés pour la mener en Normandie et qu’ils aient décidé d’un jour – le jeudi 7 – la réconfortait, encore qu’elle n’osât trop croire à sa revenue dans son pays. Elle ne serait pleinement heureuse, disait-elle, que lorsqu’elle chevaucherait hors de Paris, sur le chemin de Mantes.
    Elle parlait peu, observait beaucoup. Tristan sentait ses petits doigts s’incruster entre les siens ; leur tiédeur le grisait. Mais comment n’eût-il pas été touché par cette dextre mouvante douce et accrocheuse ; ce commencement de nudité ? Une main qui s’abandonne, c’est un cœur qui prend feu. Qui lui avait dit cela ? Peut-être Aliénor, naguère, avant qu’elle ne lui cédât.
    Paindorge les surveillait sans trop d’insistance, non point heureux, mais fier d’avoir la senestre de la pucelle dans sa grosse main solide. Luciane répondait à leurs sourires, et dans l’ombre des arbres dont les pendeloches feuillues ruisselaient des dernières gouttes de l’averse, ses petites dents chatoyaient.
    « Une femme, déjà », se disait Tristan. Elle avait la grâce d’un être achevé. Elle marchait entre eux d’une foulée dansante, ailée, le front ceint de soleil et de rêve.
    – J’ai détesté Londres, dit-elle. C’est noir et sale… du moins ce que j’ai entrevu de la litière que je partageais avec la dame de Kent…
    Elle souriait, s’animait et n’en devenait que plus belle, plus lumineuse. Tristan guettait l’effet des ombres et des clartés sur son visage tout en se demandant comment s’était agencée son existence à Saint-Sauveur, à Londres, à Cobham et quels guerriers renommés elle avait côtoyés. Privée des soins maternels dès sa jeunesse prime, sans cesse emportée par le courant des infortunes familiales, elle avait dû penser, tout autant qu’Oriabel, à vivre dans un foyer décent, épuré des désagréments et des humiliations qui sans trêve avaient traversé sa vie. Il la regardait sans trop d’insistance, et tout comme Paindorge, sans doute, devinait à ce charme précieux et captivant qu’elle allait exiger beaucoup de sa liberté recouvrée ainsi que du bonheur que celle-ci contenait en germe.
    – Il est peut-être depuis quelques jours à Paris, dit soudain l’écuyer.
    – Qui ? demanda Luciane.
    – Un seigneur dévoyé qu’on nomme l’Archiprêtre.
    – Il me semble que mon oncle en a parlé… Il l’avait vu du temps qu’il vivait en Pierregord… Il ne l’aimait pas.
    – Il n’y a que le roi pour apprécier ce malandrin !
    Soudain, avec une audace incroyable – et sans doute parce qu’il avait laissé paraître sa fureur –, Luciane empoigna le bras de Tristan. Comme une fiancée. Comme une épouse. Il fut tenté de se dégager, mais le sourire de Paindorge signifia : « Bah ! Ce geste-là

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