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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Raymond et de Guillemette ? Son esprit tourmenté s’égarait avant qu’elle ne s’égarât tout entière sur des chemins dans lesquels, sans doute, l’absent ne s’était jamais engagé.
    – Avez-vous oublié ce que Raymond nous a dit hier soir ?… La Normandie est livrée aux pires méchancetés. De quelque côté que l’on aille, on peut se faire prendre et pendre après avoir souffert la mata mort !
    Ils avaient vu quelques malheureux branchés en chemin. Plus nombreux dès Saint-Lô, jusqu’à un quart de lieue de Coutances. Certains, éloignés dans les champs, n’offensaient que la vue, mais d’autres, suspendus au-dessus des talus, empunaisaient. Et c’était, par ce temps soleilleux, le tourbillon des mouches et des taons affriandés de pourriture.
    – J’ai vu tout comme vous… Je devine que Robert et vous me compagnerez même si vous en avez déplaisance.
    – C’est vrai… Je conçois que Thierry veuille se reposer.
    – Nous serons avec vous, dit Paindorge en regardant sa main bandelée de linge propre et en faisant mouvoir ses doigts.
    – Holà ! s’écria Champartel en versant dans son gobelet une rasade de cidre. Je suis des vôtres… Seulement je crains, ma nièce, que tu ne sois grossement marrie ce jour d’hui : nous ne savons où aller parce que nous ignorons où se mussent les Goddons, les Navarrais et les guetteurs de chemins !
    – Pourquoi pas à Hambye ? proposa Guillemette.
    Elle semblait soudain « hors de ses gonds ». Elle porta vivement une main à ses lèvres comme pour re fouler sa suggestion. Aussi pâle et contrit qu’elle, Raymond protesta violemment :
    – Il nous a fait jurer !
    – Qui, il  ? interrogea Tristan, sûr de « brûler ». Messire Ogier ?
    Les deux époux feignirent une surdité qui tira un sourire à Luciane.
    – Parlez, dit-elle doucement. Il vit et vous savez où il s’en est allé.
    – Nous n’avons pas le droit, dit Raymond.
    Si ! cria Guillemette. Maintenant qu’elle est là, nous sommes déliés de notre promesse !… Je n’ai pas dormi de la nuit à cause de ce serment !… Je veux m’en relever !… J’aurais le cœur trop lourd si je n’aidais pas la petite !
    Elle pleura tout à coup dans les bras de son homme, gros hoquets discontinus et douloureux. Raymond lui tapotait l’épaule. Il avait, lui aussi, des larmes au bord des cils.
    – Il est…
    – Veux-tu te taire, Guillemette !
    Ils n’eussent pas craint aussi douloureusement l’anathème sur leur couple. Ils incarnaient l’amour, le respect du serment.
    – Il faut le dire ! Le leur dire ! Le leur crier !
    Guillemette protestait. Au son de cette voix tragique, Tristan comprit. Thierry douta. Luciane regardait, pantelante et blême, les dépositaires d’un secret dont il fallait briser le sceau. Elle éprouvait d’ailleurs une félicité profonde à abolir entre eux et elle une distance, un silence qui, depuis son arrivée à Gratot, lui avaient paru exorbitants. Elle voulait recouvrer le vrai sens de sa vie, son origine, et par-dessus tout, son père.
    – Il est vivant… Vous vous êtes trahis !
    – Oui, dit Raymond… Il va nous haïr !… Nous avions juré !
    Il avait un visage de gisant : blanc, dur, sauf à l’ébréchure des lèvres qui tremblaient un peu. Il ressemblait à un malandrin repenti. Guillemette exprimait le soulagement et la détresse. Figure tout à coup sans âge ou plutôt non : vieillie par une révélation dont le refrènement l’avait tourmentée dès l’apparition de Luciane dès qu’elle s’était merveillée de sa ressemblance avec sa mère. Et Tristan s’apitoyait pour ces yeux rougis et humides, cette bouche molle, ce souffle précipité de noyée qu’on vient de tirer de l’eau.
    – Il vit… Il est chez les bénédictins de Hambye.
    – Il s’est fait clerc ? gronda Thierry comme s’il s’agissait d’une trahison monstrueuse.
    – Non… Quelque chose comme diacre 340 … et sans léguer, par faveur spéciale, Gratot à la communauté. Il n’a point reçu les ordres. Il n’est point religieux et ne veut point l’être… Allons, ne nous regardez pas ainsi… Nous n’avons pas besoin de commisération…
    – Nous avons tout fait pour le retenir, dit Guillemette, le regard englué. Mais il était désespéré. Il t’a cherchée partout, petite… Chaque fois qu’il revenait sans toi, je lui voyais d’autres rides. Il nous avait confié Gratot, à notre demande.

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