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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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aucun nom. Quelque chose planait au-dessus de Hambye, au-dessus de leurs vies, et leur bonheur était complet. Ils étaient les témoins d’un moment de féerie. Fasciné par ce couple qui redoutait de se désunir, Tristan finit par se tourner vers ses compagnons, rompant ainsi l’enchantement d’une communion parfaite.
    – J’ai mal par tout le corps. Je ne partage pas leur émoi : je le reçois tel quel.
    « Argouges est admirable », songeait-il. « Maigre… Des traits voulenturieux. Un clair regard… Un reste de jeunesse capiteuse et adurée (524) . Il vacille comme… »
    Comme un homme qui, convié à un festin de mariage ou d’adoubement, y fût arrivé dernier, après l’ultime entre-mets, en état d’ébriété manifeste.
    – La joie le saoule, dit Thierry.
    – Il a souffert, approuva Paindorge à voix basse, mais il ploie et chancelle sous la bonne chance. Il va vivre, se refaire à la vue et au goût des choses.
    – Les parfaire, dit Tristan. Cesser de compulser les pages d’autrefois. Éprouver des plaisances jusqu’à se demander : «  Est-ce vrai ? » Luciane pleure. Ils se guérissent l’un l’autre de toutes les plaies de l’âme. Ils ne sont plus seuls.
    – Moi, je le suis.
    Tristan posa sa dextre sur l’épaule de Thierry :
    – C’est vrai. Tu n’as pas… digéré ton veuvage et la perte de ton fils. Je ne sais que te dire car je suis seul également… sauf dans l’amitié, comme toi. Conforte-toi en te disant que c’est beau d’avoir erré comme tu l’as fait pour retrouver ton serourge quand tant d’autres, à ta place, auraient éprouvé le besoin de s’asseoir et de renoncer !… Vois comme ils sont heureux… Leur béatitude est ta récompense.
    Tristan se sentait aussi incapable de définir cette félicité que d’extraire Thierry de sa mélancolie.
    – Le bonheur…
    Thierry souleva une épaule comme pour se décharger d’un fardeau inutile.
    – J’avais pensé à tout sauf à Hambye. J’aurais dû me souvenir que Godefroy d’Argouges y avait un ami que son fils était allé saluer lorsque nous sommes venus de Rechignac à Gratot, il y a… dix-sept ans. C’était frère Peynel… Je me disais aussi, fréquemment, que son malheur lui avait fait douter de la miséricorde de Dieu… comme à moi.
    Ils se sourirent. L’amitié, entre eux, se renforçait.
    – Nous doutons tous de Lui quand le malheur s’acharne. Mais Dieu ne disjoint pas les êtres. Séparés sur la terre, ils se revoient au ciel.
    Cette fois, ils s’esclaffèrent, entraînant Paindorge dans leur gaieté.
    – Sacrebleu ! dit l’écuyer. Je crois ouïr deux clercs.
    Tristan envoya une bourrade dans les côtes de son alter ego :
    –  Qui te dit que je ne le fus pas ?
    La joie de l’écuyer redoubla :
    – Vous n’en avez point l’apparence… et votre aspergés 344 plaît aux dames.
    Et prenant Thierry à témoin :
    – Lui en cuculle ? Je le préfère chaperon ou bassinet en tête.
    Tristan se tourna vers Argouges et sa fille. Le ressuscité ne cessait d’étreindre Luciane. L’homme aux rêves comblés lui parlait à mi-voix. Elle l’écoutait, le col infléchi, les bras noués autour de ce torse de guerrier désarmé par la male chance comme pour en percevoir, jusqu’à la moelle, le courage et la vigueur. Sa présence avait subverti leur destinée. Un sourire devait éclairer son visage car il illuminait, comme par reflet, celui de son père.
    – Au moins, en chevauchant vers Avignon, je pourrai méditer sur tout ce que j’ai vu… En la cherchant, je m’encouragerai en me disant que les miracles existent…
    – Tu retrouveras ton Oriabel.
    – Qui sait, Thierry…
    Tristan sentait son cœur se froidir. Il se vit loin, très loin de Hambye, esseulé, malgré Paindorge, dans des contrées pleines de mystères, abandonnées aux routiers. Puis il se ressaisit en songeant que ce serait l’ultime épreuve. Il passerait par Castelreng pour embrasser son père et voir si Oriabel et Tiercelet y demeuraient…
    – Il n’a que trente-cinq ans, dit soudain Thierry (525) . Ce n’est guère vieux.
    – Certes !… Elle en a quinze. Un homme peut la séduire…
    – Il ne la lui prendra pas !… Je m’y opposerai. Ce serait criminel que Luciane ait à choisir et qu’ils soient à nouveau séparés !
    – Je te comprends.
    – Il faudrait que cet homme demeure auprès d’elle à Gratot… ou qu’il accepte chez lui la présence

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