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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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du coude le bras qui venait de déceindre la taille de Luciane :
    – Comme je te comprends, Argouges, dit-il usant d’un tutoiement qui ne contrista personne. Comme je te comprends !… J’ai vécu à Fontevrault deux ans, juste après notre défaite à Poitiers.
    – Ah ? fit Luciane.
    – Sacrédieu ! dit Paindorge.
    Tristan imita le soupir d’un homme échappé de la noyade :
    – Révérence parler, je ne me suis senti redevenir moi-même qu’une fois sorti de la bure.
    – J’aime mieux cela !
    Luciane. Elle était transformée, transcendée par cette révélation. »,
    – Ah ! Oui, j’aime mieux cela !
    Pouvait-on aussi parfaitement lui signifier qu’elle conservait le désir d’être aimée en dépit de son attachement à une autre ? Son père ne disait mot. Tandis qu’il la contemplait, il essayait sans doute d’accorder ses songes pâles et cendreux à une réalité flamboyante.
    – En te voyant, je revois ta mère.
    Était-elle restée intacte dans ses pensées, cette épouse, bien qu’un fleuve de temps et un monceau de terre en eussent débiffé l’image ? Il embrassait des yeux ce jeune corps qui ressemblait peut-être à celui de la défunte ou à celui de Tancrède, cette cousine à la vaillance d’Amazone dont il ne savait plus rien et qui peut-être eût ri de le voir maintenant. Il contemplait ce beau fruit mûri loin de ses regards, et Tristan se sentit observé à son tour et traversé d’une question d’importance : «  Qui es-tu ? » Cet homme mettrait des jours, des semaines, des mois à effacer l’incroyable stupeur de ces instants.
    Et voilà qu’il s’inclinait comme un humble qui prend congé :
    – Il me faut aviser le prieur de mon départ… Je vais lui manquer… leur manquer…
    – Ta vie est ailleurs, désormais.
    Et Thierry se crut obligé de gloser :
    – Ailleurs, te dis-je. Tu quittes une communauté pour une famille. La bonne chance est avec toi !
    Tristan désapprouva cette conclusion trop aisée :
    – Tu parles d’abondance de cœur, compère. Or, sache-le : on ne quitte pas un saint lieu comme une hôtellerie. On s’en arrache et cela fait mal.
    Ogier ne pouvait l’entendre. Il se hâtait. Il eût couru sans doute s’il n’avait conservé en lui malgré les tourments d’une joie trop inattendue, trop complète, cette maîtrise inculquée par la vie monacale.
    Lorsqu’il revint, son visage était pâle et glacé.
    – Allons, dit Thierry, reprends-toi !… Tous ces saints hommes savent que tu sais ce que tu leur dois. Cette navrure due à ton arrachement (il s’était détourné, rieur, vers Tristan) se cicatrisera. Tu possèdes désormais près de toi le meilleur baume qui soit au monde !
    – Rien à emmener, Père ? demanda faiblement Luciane.
    –  Tes armes, ton armure ?… Raymond nous a dit…
    – Non.
    Thierry et Paindorge échangèrent un clin d’œil.
    – Partons, dit Luciane en prenant dans la main de l’écuyer les rênes de son cheval.
    Tristan se tourna vers le seuil de l’abbaye. Un moine décharné, à peine plus haut qu’une épée à deux mains, les observait derrière l’huis entre-clos. Découvert, il rentra dans l’ombre.
    – Vous êtes à cheval, dit Ogier.
    Cette fois, ce ne furent pas deux larmes mais des gouttes ininterrompues qui mouillèrent les joues de l’ancien chevalier. Hoquetant, frémissant, il se courba sur l’épaule de sa fille.
    – J’avais oublié… Je croyais avoir oublié. Mais de vous voir ainsi, le remords me revient…
    Était-il juste qu’à la joie succédât cette peine ?
    – Mon cheval est mort par ma faute. Je lui avais trop demandé. La Normandie, le Périgord… La Normandie encore et le Périgord… J’étais comme fou…
    – Je conçois votre chagrin, père. Nous comprenons que ces chevaux vous fassent regretter le vôtre. Mais vivant toute sa vie de cheval, il serait mort depuis longtemps…
    Tristan, attentif, guettait sur ce visage rayé de rides profondes le développement d’un souvenir cruel dont il comprenait, précisément, la malaisance. Pour lui, perdre un cheval, c’était perdre un ami.
    – Il s’est abattu sous moi… sans souffrir, oui, sans souffrir, car je me serais tué si sa mort n’avait point été prompte.
    – Allons ! Allons, beau-frère, reprit Thierry, remets les pieds à l’étrier sans trop regarder en arrière !
    Luciane lança un regard irrité à son oncle. Il fallait cautériser les

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