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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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suis passé par Hambye afin de me confesser auprès de frère Peynel. Il avait bien connu mes parents et me portait une grande affection. Il m’avait conjoui 343 lors de la peste noire. Il était mourant. Son dernier souhait fut que je cesse ma quête. Ce vœu s’assortissait de la promesse que je devienne diacre sous certaines conditions que ses pairs acceptèrent : on ne refuse rien à un saint qui se meurt. Il fut entendu que je ne recevrais point la prêtrise, que je conserverais Gratot et que je m’y rendrais parfois afin de voir si elle n’était pas revenue. Ce que j’ai fait… Raymond me disait que tu étais passé en ajoutant seul à ma question. De sorte que j’ai cru mon enfant défunte. La morille, bien sûr… À quoi bon vivre dans l’espérance. Je refusais pourtant de la croire morte mais je voulais finir de me rompre le cœur… À la bataille, j’étais vaillant ; pour Luciane, je fus un couard. Je cessai peu à peu de me rendre à Gratot. J’y allais à pied… Je devins pitancier, puis homme de peine… Homme de peine !… Rien d’autre, en vérité qu’un fantôme vivant.
    Les heures solennelles de la vie monastique avaient guidé cette existence désespérée. Finis les grands randons et les gestes obliques, Confiance, son épée au poing. Plus d’enseignes criées à s’en craquer la gorge mais des prières balbutiées ; des mouvements lents, étriqués, sous des voûtes sonores, puis au grand jour des tâches de huron. Il fallait attendre la nuit la délivrance du sommeil, et recommencer le lendemain les ouvrages et les prières, les prières et les ouvrages. Le cœur se consumait, le corps restait le même, amolli cependant et comme démusclé sous une apparence solide.
    Ogier d’Argouges tourna vers son beau-frère un visage saccagé mais avenant, puis, regardant enfin à l’entour de lui-même :
    – Quel est ton compagnon ? Ton écuyer ?
    – Tristan de Castelreng, chevalier de la Langue d’Oc. C’est grâce à lui que tu vas revoir Luciane.
    – Ah ?
    – Elle était captive en Angleterre. Castelreng te dira comment il l’a libérée et ramenée.
    Tristan put enfin s’approcher après avoir vu Paindorge partir à la rencontre de Luciane. Une main se tendit, prompte et dure. Il sentit la vie dans ces doigts solides et cette paume endurcie aux travaux vulgaires.
    – Je vous raconterai, dit-il péniblement. Dieu a voulu que je vous rapporte Luciane… Nous aurions pu mourir sans son aide, mon écuyer et moi… J’étais heureux de l’avoir délivrée ; j’en suis fier désormais puisque je vous connais.
    Leurs regards se pénétrèrent. Ogier d’Argouges sourit. Sourire triste encore mais prometteur.
    – Viens, parent, dit Thierry. Ne la fais plus attendre.
    Ils s’engagèrent sur le chemin. Lentement : le temps que le reclus qui cillait au soleil extirpât de son cœur l’épine profonde qui, pendant quatorze ans, l’avait endolori.
    – Beau-frère, dit tout à coup Thierry, ne sois pas mécontent de la voir vêtue en homme. Les routiers sont partout. Nous l’avons prémunie contre ces malandrins.
    – Tu as bien fait de me prévenir… Où nous attend-elle ?
    – Là-bas, dit Tristan. Tenez, Champartel, mon écuyer, quitte l’ombre où elle s’était mussée… Ah ! Le voilà qui la tire par la main… Elle a peur… Il vous faut la comprendre…
    – Je la comprends… car j’ai peur moi aussi.
    *
    Les bras ballants, les jambes tremblantes, la poitrine oppressée par un souffle inégal, elle était immobile à trois pas de son père. Elle ne savait ni parler ni rire ni pleurer – comme lui. Elle sentait les yeux du ressuscité la dévisager, la sonder, l’envelopper, se gaver de sa présence. Peut-être y avait-il de la rancune dans ce regard embué : « Je ne t’ai pas connue et te retrouve femme. » Le miracle attendu se doublait d’un singulier prodige : elle le reconnaissait, bien qu’elle ne l’eût jamais vu. Alors, elle sourit :
    – Père !
    Elle se jeta dans les bras de l’homme ébahi avec tant de passion qu’il chancela sous cette étreinte avant de redevenir ferme sur ses sandales poudreuses desquelles dépassaient des orteils tachetés de mortier.
    – Tu ressembles à ta mère.
    Thierry, Tristan et Paindorge échangèrent un regard. Leurs yeux cillaient, brillaient. Ils éprouvaient en leur cœur brûlant et alourdi d’une espèce de gratitude envers la Destinée, un senti ment nouveau qui n’avait

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