Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
laissa son beau-frère à ses pensées. Luciane en fit autant. Ogier se retrouvait chez lui, le corps et l’esprit apparemment détendus dans une sorte de somnolence qui le rendait presque étranger à lui-même ainsi qu’aux gens et choses qui l’entouraient. La trame lacérée de sa vie se rapiéçait tant bien que mal sans, que sa volonté y fût pour quelque chose. Les flammes sautillaient petitement dans l’âtre. Un chaudron chauffait entre les landiers.
    Il leva les yeux. Le château devenait plus hospitalier, plus solide – impérissable. Sans doute cet homme aux espérances enfin comblées s’identifiait-il définitivement à ces murs qu’il réintégrait cette fois avec un plaisir tout à la fois âpre et délectable.
    Il y eut un galop dans la cour.
    – Paindorge, dit Tristan.
    – Alors, dit Guillemette, on va pouvoir manger. Raymond est allé quérir la boisson. J’espère, messire Ogier, que vous avez grand-faim.
    *
    Luciane avait disposé les écuelles, les cuillers, les pichets de vin sur la table couverte d’un drap de lit. Debout devant la cheminée, sans trop voir, semblait-il, la lèchefrite où grésillait un porcelet, la pucelle s’était immobilisée dans le geste éternel de la méditation. Un bras replié sur sa poitrine, l’autre relevé jusqu’à son menton soutenu dans la fourche de sa main, la tête un peu penchée, les yeux mi-clos sans que l’éclat des braises en fût cause, elle errait par l’esprit à des lieues de Gratot. Tristan la rejoignit et d’une main légère effleura son épaule :
    – Votre vie se recompose…
    Ils n’osaient trop se regarder, cherchant pourtant à pénétrer l’un l’autre leurs dispositions secrètes.
    – Tout est si différent de ce que j’imaginais en revenant à Gratot… Sans le… parjure de Guillemette et de Raymond, qu’aurions-nous fait ?
    Thierry les épiait. Tristan se demanda s’il s’apercevait de la dissemblance qui se révélait entre la jeunesse ascendante de cette fille audacieuse et la maturité tourmentée d’un père parvenu sans doute à son zénith et qui, pensif et immobile, lui aussi, n’osait peut-être croire à la véracité de sa résurrection.
    – Beau-frère, il faut que tu redeviennes toi-même. Je veux te voir aussi vaillant que naguère. Il faudra nous exerciser aux armes.
    Une expression d’anxiété pétrifia le visage du revenant. Sa quiétude parut s’envoler à tire-d’aile comme un oiseau chassé de son nid par une menace imprécise. Tristan craignit que son long séjour chez les bénédictins n’eût compromis à tout jamais la force et l’habileté de cet homme.
    – Je n’ai plus rien, Thierry, en fait d’armes. Pas même Confiance. Je l’ai remise avec mon armure et mes housseries au prieur de Hambye lorsque j’ai décidé de quitter les vivants.
    – Tu es toujours chevalier !
    Paindorge entrait. Il fut immobilisé d’un geste.
    – Va chercher, dit Thierry, ce que je t’ai prié d’apporter.
    L’écuyer disparut pour revenir ceint d’une épée qui n’était pas sienne et courbé sous un lourd fardeau de toile écrue maintenu fermé par des entrecroisements de wège 348 . Il le laissa tomber ; le contenu tinta.
    – Tenez, messire… Votre épée… Il y a là-dedans votre harnois de guerre… Les housseries et lormeries 349 sont dans un bissac, à l’écurie.
    Ogier remua dans sa cathèdre.
    – L’avenir vous dira si vous avez bien fait. Emporte ça, Paindorge. Mets-le, avec Confiance, près de l’arzel de ma fille…
    Il lui coûtait de dire « Marchegai ». Il soupira tandis que l’écuyer s’en retournait, aidé cette fois par Raymond.
    Luciane s’assit sur l’un des accoudoirs entre lesquels son père étouffait un émoi convaincant.
    « Ses armes lui ont manqué », releva Tristan. « Il serre les mâchoires pour ne pas verser un pleur de plus. »
    Dans la clarté rougeâtre qui enveloppait le père et la fille, il essaya d’imaginer quelle femme avait été Blandine d’Argouges. Luciane, puisqu’elle lui ressemblait, tenait de sa mère un front haut, des cheveux d’or brûlé, un nez petit que semblait avoir relevé une douce chiquenaude. Le son de sa voix devait ranimer, chez Ogier, le souvenir de la défunte, mais c’était une autre âme qui vivait dans les yeux de la jouvencelle et s’exprimait dans des mouvements contraires, sans doute, à ceux, veloutés, de sa mère. Son sourire n’avait jamais rien de dolent. C’était

Weitere Kostenlose Bücher