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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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invités de ta gente femme !
    – Buvons ! dit Mathilde. Vos sangs s’échauffent et vous ne buvez pas.
    – Oui, buvons, dit Cervole, à la chevalerie !
    Tristan refusa de la tête.
    – Alors, buvons à toi, jeune preux !
    « Malebouche ! » songea Tristan qui peu à peu se réfugiait en lui-même.
    Il ne s’était jamais considéré comme un chevalier méritoire. S’il avait obtenu de son père, par le sang et par l’exemple, son aptitude au maniement des armes, il n’en devait la perfection qu’à lui seul. Dès sa quinzième année, il n’avait eu de cesse de développer chaque jour sa force et son habileté en des dialogues acharnés entre sa tête et son corps, en des épreuves pénibles qu’il imposait à ses muscles et enfin dans l’excitation des concurrences mortelles à Poitiers comme à Brignais : autant d’initiations toutes-puissantes au sortir desquelles il avait acquis la certitude que la chevalerie n’était qu’un leurre, qu’elle ne formait ni n’entretenait une élite, qu’aucun seigneur n’en respectait les préceptes et que tombée en dérogeance, elle ne valait ni plus ni moins que ce que valait chaque prud’homme. Qui se surestimait devant ses ennemis pouvait en recevoir la mort parfois presque sans coup férir. Il faillit sourire en entendant l’Archiprêtre s’en rapporter à ses expériences et surtout à celles de sa jeunesse prime. Les exigences du passé, les traditions auxquelles il se référait – et qui avaient, jadis, obtenu quelques effets sur l’existence des preux et des humbles désignés à leur aide et à leur protection – n’existaient plus. La guerre, elle-même, en dénaturant ses buts, en modifiant ses principes et en améliorant les armes, avait changé de tournure et d’aspect. Certes, certains litiges entre nobles d’un même terroir subsistaient encore, mais au-dessus de ces sanglantes querelles, une seule prévalait : celle qui depuis trente ans opposait la France à l’Angleterre. Procédant par batailles et royautés successives, la fourberie prévalait sur le courage, la férocité sur la miséricorde, l’ignominie sur l’honneur. Tous ces manquements aux grands principes énoncés dans les commandements de l’Ordre avaient fait des Fleurs de la Chevalerie des chiendents et des ronciers. Et l’homme qui mangeait ce soir à la table de Mathilde était le plus sombre exemple de chevalier-malandrin comme, hélas ! il en existait désormais des centaines. Parjure, félon, couard au besoin, il vivait néanmoins dans les bonnes grâces royales. En lui, la cautelle (447) et l’improbité s’étaient exercées à écraser ou résorber tous les bons sentiments, mais expert dans le vice et la duplicité, il savait profiter de la bienveillance du roi Jean et du dauphin Charles qu’aucun homme curial n’avait encore osé mettre en défiance à son égard. Archiprêtre, il n’avait de foi qu’en lui-même et de religion que celle de l’or et de l’argent.
    « Mirai deforo, fens dedins 112  », songea Tristan cependant que Mathilde se penchait vers lui.
    –  Cesse un peu de faire ta mauvaise tête, souffla-t-elle d’un ton de supplication tellement faux qu’il ne s’en aigrit que davantage.
    – La chevalerie ne nous vaut rien, dit Cervole. La preuve : elle nous impose une discorde dont je me serais passé.
    La chevalerie ! Il n’avait, lui qui la trahissait, que ce mot à la bouche. Elle n’avait point licence, la chevalerie, de composer des hommes totalement semblables, mais elle abondait en restrictions dont ce mécréant n’avait que faire. A la sincérité, il imposait l’équivoque, à l’audace, l’hésitation, au courage, la fuite. Si quelques-uns de ses pairs conservaient leur foi en l’Ordre, il n’avait plus d’illusions sur aucun de ses commandements, et bien qu’il n’eût fait merveille en rien, il avait obtenu, outre la confiance d’un roi et de ses fils, qu’il méprisait et trahissait, l’admiration des gentilfames et d’une Mathilde qui devait mouiller sans même être tâtonnée par lui !
    – Je songeais, chère épouse, à quelques mots latins.
    – Lesquels ? s’empressa Cervole.
    – Connaissez-vous cette langue ?
    – Certes non !
    – Eh bien, en vous voyant, messire l’Archiprêtre, je songeais simplement : In cauda venenum (448) .
    –  Ce qui veut dire ?
    Tristan sourit au sommet de la béatitude :
    – Ah ! Ça, messire, il vous faudra trouver un latinier

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