Le poursuivant d'amour
conséquence : si son chemin devait croiser celui de l’Archiprêtre lorsqu’il aurait recouvré la liberté, celui-ci se rirait à bon droit de sa malaventure.
Paupières closes, il essaya d’examiner sa défaite avec autant de minutie qu’il l’eût fait pour son visage levant un miroir, cherchant sur le reflet de celui-ci non teint une ride ou un bouton, mais ce que ses traits pouvaient exprimer de sentiments bassement conciliants et avilis. Il exécrait Mathilde ; qu’elle l’eût trahi l’indignait sans pour autant aggraver le dégoût qu’elle lui inspirait ; mais que l’Archiprêtre eût profité de sa défaillance en n’ignorant rien d’une préméditation dont il tirait avantage, voilà ce qu’il trouvait insupportable.
Il se leva. Il devait maîtriser son corps et distendre sa volonté. Chaque pas lui coûtait. Il poussa la porte des latrines, renversa au passage une fontaine et sa cuvette et le bruit qu’ils firent en s’aheurtant lui parut si surnaturel qu’il en fut secoué des chevilles aux épaules. Une nausée le tourmenta. Il se pencha au-dessus du trou aménagé dans la planche, juste à temps pour vomir.
Un fiel rougeâtre lui sortit de la bouche et du nez noyé dans des glaires jaunes à senteur de soufre. « La gaupe a voulu m’enherber !… Voilà, elle est lasse de moi ! » Sa main puait d’avoir séché ses lèvres.
Il revint vers le lit. Son gosier râpeux le brûlait. Il avait soif à tarir une source mais ne voyait aucun pichet. Cette chambre était vide depuis longtemps. La porte… Il s’en approcha. Comme il le redoutait, elle était verrouillée.
Il s’allongea, ferma les yeux et sentit son énergie remonter du tréfonds de son corps jusqu’à ses membres. L’odeur nocturne du château – mélange de suints d’hommes et d’animaux immobiles, fétidité de fumiers, remugle de salpêtre – le pénétra. Il fallait qu’il se laissât engourdir par la tiédeur de la couverture tout en échafaudant… Quoi ? Comment fuir maintenant ? Il n’avait ni la force ni la volonté ni la possibilité de courir ne fût-ce que cent toises.
Des voix, en bas, troublèrent le silence, puis un bruit de sabots. Le clapotis des fers grossit, rapetissa. Il eut, sur les planches du pont-levis, le tambourinement de quatre chevaux à la suite.
« Ils partent… »
Peu après, Mathilde entra. Elle se pencha au-dessus du lit, et Tristan l’observa, les yeux fixes, comme elle les eût trouvés s’il avait succombé. Elle posa une main sur son front, de l’autre, elle serra son poignet pour bien s’assurer qu’il vivait. Alors il remua.
– Vas-tu mieux ? demanda-t-elle doucement. Tu m’as effrayée… Une indigestion, sans doute.
Il la dévisagea si méchamment qu’elle dut se relever.
– Mon épouse, c’est toi qui m’effraies !
– Un malaise t’a pris… Je t’ai veillé toute la nuit.
– Menteuse !… Tu l’as passée à forniquer avec Cervole… Mais je ne suis pas mort…
Elle était pâle et lasse, blette, fiévreuse. Il lui connaissait cette lividité, cette nonchalance où son âge s’accusait plus encore qu’en toute autre occasion. C’était quand il se détachait d’elle et qu’elle feignait un contentement qu’elle n’avait pas éprouvé. « Salaude ! Salaude ! » La fureur qui l’animait n’était pas le fait d’une jalousie née d’un adultère dont il ne se souciait guère, mais d’une répugnance envers lui-même. Dire qu’il s’accouplait depuis des semaines à cette ribaude de haute lignée !… Et encore, il ne savait d’où elle sortait. Peut-être, tout simplement, d’un bordeau d’où son premier mari l’avait tirée.
– Votre courroux à mon égard me mécontente gravement, dit-elle en se reculant vivement, comme s’il l ’avait giflée. Je ne vous appartiens pas. C’est vous qui m’appartenez !
Elle le voussoyait. Mauvais signe.
– Divorçons : vous serez libre comme le vent.
– Jamais !… Je tiens à vous… Au lit, vous m’êtes agréable.
– Vous n’êtes pas en peine de trouver d’autres amants. Ne venez-vous donc pas de m’en fournir la preuve ?… Votre soi-disant attachement à ma personne fut, cette nuit, d’une… lâcheté qui nous déshonore tous deux !
La puissance de son dépit enveloppé comme un habit chauffé à blanc d’où seule sortait sa tête froide.
– Je sais ce que je vous dois, reprit-il en préférant, cependant, la modération à la
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