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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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c’était une grosse armée… peut-être trop assurée de sa solidité…
    Le roi reprit ses allées et venues d’ours en cage. Il passait, parfois, sa dextre sur ses cheveux qu’il avait longs, clairsemés au-dessus du crâne, et qui, touchant son col de petit-gris, rebiquaient en crochets fort peu masculins pour ce visage médiocrement barbu, aux lèvres obombrées d’un soupçon de moustache. Il portait, sur sa poitrine nue, un flotternel de soie d’azur et d’or dont les manches retroussées jusque sous les coudes révélaient des avant-bras robustes, poilés de roux. Ses hauts-de-chausses étaient si courts qu’on voyait son nombril au-dessus de la boucle de sa ceinture de chevrotin sang-de-dragon clouté d’or. Une jambe de chausse rouge, l’autre violette moulaient des cuisses adipeuses et des mollets charnus, variqueux, avant de s’enfoncer dans des souliers à la poulaine en velours cramoisi dont un nœud, à chaque extrémité, eût nettement facilité la marche. À son cou, ballottant au bout d’une chaîne d’or, brillait un diamant aussi gros qu’un œuf de caille. D’une main bourrelée de veines et de bagues énormes, Jean II prenait un tel plaisir à toucher ce joyau qu’il semblait y réchauffer l’extrémité de ses doigts longs et pâles – qui eussent été beaux s’ils n’avaient été duvetés, sur le dessus, comme l’avers d’une peau de daim.
    – C’est justement cette assurance dont vous m’entretenez, Castelreng, qui fait la force d’une armée…
    Pas plus que son père, Philippe VI, cet homme-là n’avait compris – à l’inverse d’Édouard III d’Angleterre – que la guerre était le fait de tous les hommes, et que les piétons y tenaient un rang tout aussi noble et important que cette chevalerie dont la forcennerie et la jactance faisaient un si grand tort aux bannières françaises. Mais fallait-il lui rappeler que Crécy avait été un désastre, précisément à cause d’une assurance indue, et Saintes (462) , Mauron (463) , Poitiers, Brignais. Si désagréable que ce fût d’en faire l’observation, l’arc et la guisarme, le vouge et la coustille valaient mieux que la lance et l’épée. Un huron tout crotté de la terre des champs pouvait égaler voire supplanter, une cognée en mains comme Guillaume l’Aloue et le Grand Ferré (464) , une horde de seigneurs présomptueux plus enclins à se prouver leur courage qu’à l’exercer sur l’adversaire.
    – Un tel affront mérite une belle revanche !
    En tant que chevalier, instituteur de l’Ordre de l’Etoile, ce piteux simulacre de Table ronde, Jean II n’avait accumulé que des défaites honteuses, plus tragiques les unes que les autres, face à son cousin Édouard III et à son fils aîné, le prince de Galles. Mais il se revancherait, affirma-t-il avec un grand et sec mouvement des poings.
    Tristan acquiesça. En pénétrant dans cette librairie aux meubles clos, il avait découvert Jean II assis, maussadement courbé en avant entre les accoudoirs d’une chaire à haut dossier. Il y avait, ouvert sur une table devant lui, un grand volucraire 128 dont les deux pages enluminées étaient consacrées aux faisans. Le roi s’était extrait de son siège avec un empressement singulier comme s’il avait craint d’être surpris dans une méditation interdite. Maintenant, son va-et-vient s’assortissait de dandinements qui davantage que des façons de Cour révélaient l’ambiguïté de son caractère. Il se reprenait parfois, puis recommençait à singer quelque femme contente d’elle. À Maupertuis, il s’était battu mieux qu’un homme : comme un tigre, à l’instar des léopards triplement représentés sur les écus, les targes et les gonfanons adverses. Et lui, Tristan, qui avait toujours regretté que les Lis eussent été choisis par Louis VII pour figurer la royauté, voilà qu’il reconnaissait, morose et courroucé, que ces trois feuilles d’or sur champ d’azur correspondaient à la nature de ce suzerain qui prétendait à la grandeur en rétrécissant son royaume. C’était assurément moins par goût que par une volonté malicieuse de dérision qu’Édouard III avait planté ces fleurs à proximité des fauves griffus d’Angleterre.
    « Et moi, Castelreng, qui redoutais cette audience ! »
    Pourquoi se serait-il senti gêné devant ce roi si terne malgré l’éclat de ses habits ? Jean II combinait sous son front certes haut, mais étroit, une certaine

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