Le poursuivant d'amour
malaisément réuni et versé les fonds du premier.
– Quand le trésor royal sera ce qu’il était, je lèverai de nouvelles armées…
Comme son père, la seule recette qu’il connût pour affirmer sa puissance, c’était d’emplir ses coffres. Il oubliait ou feignait d’avoir oublié sa dette : trois millions de florins à l’écu Philippus payables en six fois (467) . Il oubliait que le premier sixième de sa rançon lui avait donné des inquiétudes et qu’il avait dû s’humilier devant son vainqueur ébaubi mais satisfait qu’il fût incapable d’honorer sa parole. Et pour trouver le reliquat des fonds, l’on avait pressuré le pays de Langue d’Oc avec une fermeté qui, dans sa tombe, avait dû réjouir feu Simon de Montfort (468) .
– Je conçois, Castelreng, que vous n’ayez pu vous échapper de Brignais. Je vous avais envoyé en Lyonnais dans la crainte que mon gendre, le roi de Navarre, ne fasse alliance avec ces hommes.
– Aucun des capitaines, sire, ne fit allusion à une collusion de cette espèce.
– J’en rends grâces à Dieu !
Le roi se signa, son regard soudain porté sur le donjon énorme dans les caves duquel il eût aimé sans doute emmurer Charles de Navarre.
– Gérard de Thurey m’a tout rapporté sur vous. Je ne puis vous tenir rigueur de ce que, d’ailleurs, je n’ai jamais considéré comme un manquement qui eût fait d’une mission nécessaire en son temps un acte détestable. Et je ne vois pas pourquoi je vous accorderais des lettres de rémission puisqu’il n’y eut point forfaiture.
– Mais, sire, si je dois un jour passer par Lyon…
– Je vais écrire à mon parent, monseigneur Charles d’Alençon, et lui dire en quelle estime je vous tiens… Combien je suis heureux et tout aise que vous ayez échappé au bûcher… Je m’acquitterai de cela ce jour d’hui… Salbris, cet excessif que je n’ai pas revu, est un sot. Thurey m’a rapporté son acharnement à vous vouloir réduire en cendres. Sans doute ronge-t-il son frein quelque part avant que de venir me conter des sornettes… Que pensez-vous de ces routiers ? Dites-le-moi du fond du cœur.
Tristan n’hésita pas.
– Sire, tous ces hommes-là sont abjects. Ils tiennent leur force de leur obéissance aux capitaines qui ont su leur imposer le respect.
– Nous, nous obéissons à Dieu.
Jean le Bon avait dû trouver cela dans un livre. Ou bien, il se méprenait. Pour tous les chevaliers du royaume, l’obéissance témoignait d’une bassesse digne d’un huron, d’un manant – rien d’autre. Et puis quoi ? Lorsqu’on voyait toutes les horribletés qui s’y commettaient, pouvait-on croire que Dieu régnait sur les champs de batailles ?
– Je ne doute pas de la hardiesse des routiers. Tenez, ce Bertrand Guesclin qui leur ressemble tant, eh bien, en voilà un dont je commence à me dire qu’ayant leurs mœurs et des hommes d’armes à la semblance de ceux de Brignais, il pourrait…
Le roi s’interrompit : il pensait. Il poursuivit enfin avec une lassitude extrême ou une nonchalance peut-être affectée :
– Il pourrait vaincre… Vaincre Édouard III et Édouard de Woodstock !… Quel plaisir, chevalier, de les voir allongés dans leurs armures sanglantes, craventées 130 à force de coups reçus… Ah ! Oui, quel plaisir…
Plaisir. Un mot en vérité plus adapté à une bouche de femme qu’à celle d’un homme.
Il s’enivrait, ce roi vaincu, tourmenté dans son honneur plus encore que dans sa chair : jamais il n’éprouverait le funèbre plaisir de contempler, côte à côte, les corps rompus de ses deux ennemis. Parce qu’ils savaient préparer une bataille. Parce qu’ils abandonnaient volontiers leurs grands chevaux pour se mêler sans vergogne à la piétaille d’Angleterre. Ils ne répugnaient pas non plus à écourter leur lance pour combattre comme des manants, et leur eût-il fallu avoir des armes courtoises pour quelque tournoi en champ clos qu’ils eussent aussitôt rebattu leurs épées.
– Ils ont des guetteurs partout, dit Tristan. Chaque matin, ils s’exercent au tir à l’arc…
– Une arme de huron… Sont-ils pourvus, au moins, en arbalètes ?
– Un peu… Mais ils ont des frondeurs nombreux et…
– Des frondeurs !… Par le Ciel, ce sont des Wisigoths !
– Sire, les frondeurs ont eu leur part dans cette victoire.
– Impossible !… Impossible !… Alors que l’avenir appartient à l’arbalète et
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