Le Pré-aux-Clercs
n’était pas homme à recevoir placidement les coups sans les rendre.
« Votre Majesté, fit-il avec un sourire aigu, avait raison de dire que la mémoire l’abandonne. Votre Majesté commet une erreur. »
Catherine vit venir la riposte, sans deviner exactement en quoi elle consisterait. Elle non plus n’était pas une femme à reculer. Elle se raidit et prenant un air étonné :
« En quoi ? dit-elle.
– En ce que sa mémoire, rebelle sur ce point, lui fait prêter à Nostradamus un rôle humiliant qu’il n’a jamais tenu… Mon père, madame, est l’homme que j’admire, que je respecte et vénère le plus au monde. C’est vous dire que je ne souffrirai pas qu’on tente de l’amoindrir devant moi.
– Vous ne souffririez pas ! » souligna Catherine redressée en une attitude d’écrasant dédain.
Comme s’il n’avait pas entendu, Beaurevers continua imperturbablement :
« C’est pourquoi je vous demande humblement la permission de rétablir les faits, tels qu’ils se sont passés dans la réalité. »
La fermeté de l’attitude, l’assurance du regard qu’il tenait rivé sur elle, l’acuité du sourire, tout criait hautement que cette permission n’était sollicitée que pour la forme et qu’il était résolu à s’en passer. Catherine le comprit. Et elle articula :
« Je vous écoute », dit-elle froidement.
Beaurevers reprit, avec la même déconcertante assurance, le même sourire plus aigu :
« Je fus condamné à avoir la tête tranchée et j’allais être exécuté, comme votre mémoire, implacablement fidèle sur ce point, vient de le rappeler. C’est là que Nostradamus intervint. Rien n’est impossible à Nostradamus, vous le savez, madame. Mon père pouvait laisser exécuter son fils… attendu qu’il pouvait accomplir ce miracle de le ressusciter. Mais, pour accomplir ce miracle, il lui fallait répandre goutte à goutte le sang d’un enfant. »
Catherine étouffa le rugissement de douleur qui montait à ses lèvres blêmes. Elle fixa sur celui qui, à son tour, fouillait sans ménagement les cendres d’un passé formidable, un de ces regards effrayants qui eussent fait rentrer sous terre tout autre que lui. Et son poing se crispa furieusement sur le manche d’un mignon petit poignard.
Mais Beaurevers ne s’effondra pas. Plus froidement résolu que jamais, il attendit tranquillement un mot d’elle qui fût un aveu de défaite. Voyant qu’elle avait l’orgueil de se taire, il continua implacablement :
« Cet enfant, Nostradamus le tenait en son pouvoir. Mais il lui répugnait d’accomplir ce hideux sacrifice. Or, cet enfant c’était le fils bien-aimé de Votre Majesté : le duc d’Anjou…
– Henri !… hurla Catherine, écartant en un geste de folle épouvante l’effroyable vision de son fils préféré, râlant, la gorge ouverte, sous le scalpel de l’opérateur. Oui !… je me souviens !… Il y eut, non pas grâce, mais troc pour troc : vie pour vie. »
Beaurevers ne triompha pas. Il se contenta de dire, avec un respect apparent :
« Je suis heureux de voir que la mémoire vous revient, madame. »
Mais le regard étincelant qu’il fixait sur elle disait clairement qu’il était prêt à accepter la lutte sur tous les terrains où il lui plairait de la porter et qu’il se sentait de taille à rendre coup pour coup.
La leçon était terrible. Toute autre que Catherine se le fût tenu pour dit et se fût bien gardé de provoquer plus longtemps un adversaire qui se révélait si déterminé et si redoutable. Elle ne renonça pas. Déjà, elle se disait :
« Oh ! Démon ! Quels raffinements de supplice il me faudra inventer pour te faire payer les secondes atroces que tu viens de me faire vivre ? »
Et déjà elle cherchait quel nouveau coup elle pourrait porter, tandis qu’elle disait :
« Peste, on ne peut pas dire que votre mémoire vous trahit, vous. Et j’admire l’ardeur que vous mettez à défendre votre père.
– C’est que je l’aime, madame. Je l’aime… tenez, autant que Votre Majesté aime son fils Henri.
– Oui, et c’est pourquoi je vous comprends, monsieur. C’est pourquoi je vous pardonne ce que vous m’avez fait souffrir en me rappelant l’événement le plus douloureux d’un passé qui contient tant de douleur et d’amertume.
– Du moins, votre Majesté me rendra cette justice que ce n’est pas moi qui ai, le premier, évoqué un passé qui m’est aussi très
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