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Le prince des ténèbres

Le prince des ténèbres

Titel: Le prince des ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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sur tréteaux, recouvertes de nappes de lin immaculées, et ornées, en leur centre, de candélabres à plusieurs branches, dont la lumière, ajoutée à celle des flambeaux aux murs, illuminait toute la salle. Corbett huma les lourdes odeurs épicées des plats qu’il avait vu préparer aux cuisines et qui lui avaient déjà mis l’eau à la bouche. Des pages à la livrée bleu et or du prince et de Gaveston allaient et venaient, portant de la vaisselle d’argent qu’on avait préférée aux habituels tranchoirs de pain rassis. Des musiciens, dans la galerie au fond de la salle, jouaient en sourdine du tambourin, du rebec et du luth tandis que s’élevait la douce mélodie d’un lai de troubadour chanté par de jeunes garçons à la mine avenante, vêtus d’or et d’argent. Un lévrier leva la patte sur le pied d’une table, mais fut vite chassé.
    Un chambellan les guida à leurs places, juste au pied de la haute table, qui s’embellissait d’une salière-nef d’argent incrustée de pierres fines. Corbett embrassa la salle du regard. Les autres convives – clercs, officiers de la Maison, capitaines de mercenaires, quelques prêtres et chapelains – appartenaient tous à la suite soit du prince, soit de Gaveston. On ne leur prêta aucune attention, ce qui le mit mal à l’aise. Une sonnerie stridente de trompettes fit cesser le brouhaha et le prince apparut, tenant Gaveston par la main. Ils portaient tous deux des cercles d’argent ciselé pour retenir leur chevelure et étaient vêtus d’or de la tête aux pieds. Ils furent accueillis par les exclamations flatteuses de leurs courtisans. Le prince remercia d’un geste tandis que son favori et lui prenaient place à la haute table, sur des cathèdres semblables à des trônes. Corbett détourna le regard en frissonnant. Si le roi avait été présent, il en aurait eu une attaque d’apoplexie, car le prince traitait ouvertement Gaveston comme si ce dernier avait été son épouse. Les trompettes retentirent derechef et le banquet commença. Les maîtres cuisiniers français avaient fait appel à toutes les ressources de leur art : on servit des soupes et des potages parfumés aux herbes, du faisan et des cailles, puis du saumon, du turbot et de la tanche. Suivirent le coeur d’un sanglier farci de clous de girofle, de l’agneau à la menthe et à la marjolaine, des cuissots de venaison et un cygne rôti et reconstitué qui, sur son plateau d’argent, semblait nager sur un étang enchanté. Blancs-mangers et pâtisseries complétaient le festin arrosé des meilleurs crus de Bordeaux et des vins blancs et frais de la vallée du Rhin.
    Bien sûr, Ranulf dévora comme quatre pendant que Corbett mangeait du bout des dents. Le clerc se sentait inquiet et oppressé : le prince et Gaveston les avaient à peine gratifiés d’un regard, et leurs voisins de table faisaient comme s’ils n’existaient pas. Les cruches de vin circulaient plus vite à présent, les conversations et les rires devenaient plus bruyants, les nappes argentées se couvraient de taches. Une minuscule saltimbanque, d’à peine trois pieds de haut, vint pirouetter devant la table tout en évitant habilement la vaisselle et la nourriture qu’on lui jetait. Corbett s’aperçut soudain qu’ils étaient placés dans un coin de la grand-salle. En cas d’échauffourée, ils seraient pris au piège. Choisissant le moment propice, il força Ranulf à se lever et s’inclina vers le prince. Ils se retirèrent discrètement et, une fois sortis, Corbett envoya son serviteur chercher leurs affaires dans la chambre. Celui-ci revint rapidement avec sa cape et un seul gant.
    — Je n’en ai trouvé qu’un, Messire.
    Le clerc haussa les épaules.
    — Aucune importance. J’ai dû le perdre, et je ne vais pas fouiller le palais à la recherche d’un gant !
    — Si nous prenions des chevaux aux écuries ? suggéra Ranulf.
    Corbett refusa d’un geste.
    — Non ! Je ne me sens pas tranquille. Plus vite nous serons partis d’ici, mieux ce sera ! Le prieuré n’est pas loin, la nuit est belle et l’air vif nous éclaircira les idées.
    Ils se glissèrent dehors par une petite porte et franchirent bientôt une des poternes du palais. Ensuite, ils n’eurent aucun mal à retrouver le chemin qu’ils avaient parcouru le matin même. La pleine lune de septembre baignait la campagne endormie d’une lumière argentée, et les champs, en cette tiède nuit, reposaient sous un ciel

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