Le Prince Que Voilà
dis-je, ne
parut pas à la longue, supportable à Roquelaure, lequel étant homme de prime
saut et franc bec, laissa couler hors lui tout soudain le torrent de ses
sentiments.
— Ha, Sire ! s’écria-t-il,
je me doute bien de ce qu’il en est ! Vous délibérez en votre for si vous
allez embrasser votre bonne fortune en acceptant l’offre du Roi, ou si vous la
refuserez pour complaire à votre ministre que voilà, et autres de son humeur
qui vous conseillent pour leur commodité et passion partisane sans aucun
respect de votre service et du bien public !
À cette furieuse attaque, Marmet ne
battit pas un cil, et comment en effet, tombant sur un tel roc, la plus
précipiteuse cataracte eût-elle pu l’entamer ?
— Je ne suis pas, dit-il d’une
voix douce, insoucieux du bien public. Ouïr la messe est affaire à la
conscience du Roi de Navarre. On l’y a forcé, il y a quatorze ans, le cotel sur
la gorge. On l’en prie ce jour d’hui. Mais qui l’en prie ? Le vainqueur de
Jarnac et de Moncontour et un des artisans de la Saint-Barthélemy !
Certes, le prédicament a changé le Roi, mais ce que la circonstance a fait, la
circonstance le peut défaire. Navarre peut bien à la Cour être le bras droit de
Henri III comme Coligny, hélas, fut celui de Charles IX. Mais faveur
de Cour est inconstante. En Béarn, en Navarre, en Guyenne, les réformés sont le
bouclier et la lance du Roi. S’il oit la messe, il se désarme. S’il retourne à
la Cour, il se met ès poings de ses ennemis. Il sera donc nu deux fois.
À cela, Navarre, sans cesser
d’arpenter la pièce de son pas de montagnard, jeta un œil vif à Marmet pour ce
que celui-ci, à sa manière douce et voilée, lui laissait entendre qu’à ouïr la
messe, il perdrait l’amitié des huguenots, et par conséquent, le parti dont il
tirait sa force.
— Mais, s’écria Roquelaure avec
feu, ne pas se résigner à ouïr la messe, n’est-ce pas renoncer à devenir Roi de
France ? Si tôt au contraire qu’on saura à la Cour que le Roi de Navarre a
ouï une messe, vous verrez en un instant toute la France accourir à lui pour
lui offrir ses forces, ses moyens, ses richesses…
— Faut-il perdre son âme pour
gagner Mammon ? dit Marmet.
— Mais, dit Roquelaure avec une
naïve impudence, cette messe dont vous ne voulez pas, est-il bien nécessaire
que le Roi l’oït dans son cœur ? Ne peut-il être catholique que de la
bouche et de l’extérieur ?
Mais là-dessus tomba dans la pièce
un silence si long, si lourd et si froidureux que le pauvre Roquelaure, qui
était lui-même catholique, mais de la plus mondaine espèce, en fut un temps
décontenancé, n’entendant guère comment les huguenots sentaient sur ce chapitre
qu’il venait d’ouvrir avec une bien étrange légèreté. Cependant, se campant sur
ses fortes gambes, et paraissant, comme Antée, reprendre force au contact de la
terre, il ajouta, ses yeux noirs lançant foudres et éclairs :
— Si nous rebutons et refusons
le Roi de France, il y a péril à ce qu’il soit contraint de s’entendre avec
Guise, les huguenots faisant les frais de cette entente. Et je le demande alors
à tous ceux qui s’encontrent céans : Ne vaudrait-il pas mieux ouïr cinq
cents messes que de rallumer une guerre civile et revoir son cortège
d’horreurs ?
Parler massacres aux huguenots qui
en ont fait si souvent les frais, c’est un langage qu’ils peuvent entendre, et
l’argument de Roquelaure, même si « les cinq cents messes » leur
restaient au travers de la gorge, ne resta pas sans effet sur les présents,
encore que Marmet se tût, ayant tout dit, que Du Ferrier se tût, parce qu’il
avait trop à dire et que le Roi se tût, pour ce qu’il ne pouvait ouvrir la
bouche sans trancher, et qu’il ne voulait pas trancher encore.
— Eh bien, mon père, dit le Roi
à Du Ferrier, qu’en êtes-vous à la fin apensé ?
— Qu’il faut, dit Du Ferrier,
d’un ton fort mesuré, froidement examiner les effets d’une abjuration
immédiate. J’opine qu’ils seraient déplorables, et sur les catholiques qui ne
la croiraient sincère, et sur les huguenots. Et quels en seraient les
avantages ? À mon sens, très douteux, la Cour et Paris étant ce qu’ils
sont. L’heure ne me paraît donc pas venue de cette considérable concession,
laquelle brouillerait tout sans rien arranger. Le Roi de Navarre n’a déjà que
trop changé de religion. Et je crois qu’il vaut mieux
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