Le Prince Que Voilà
bouche pour la troisième fois et avant que de raccompagner le
curé Ameline à mon châtelet d’entrée (d’où il voulut bien bénir tous ceux qui
se trouvaient en mon enceinte) je le graissai de quelques écus pour aider à la
toiture de sa sacristie, le commode d’une soutane, à ce que je vis à cette
occasion, étant qu’elle soit bien pourvue en poches profondes, où tout
disparaît le temps de dire « Amen ».
Du châtelet d’entrée, je
retraversais l’enceinte herbue où s’ébattaient, dans la noise et la vacarme,
les quatorze petits Siorac quand je vis, jasant avec Angelina et Gertrude (et
ignorant tout à plein Zara comme à son ordinaire) ma petite sœur Catherine,
laquelle, à ma vue, poussant un petit cri, fut bonne assez pour oublier sa
hautesse et se jeter en mes bras – tout comme l’eût fait une naturelle sœur
qui n’eût pas été baronne – et me poutouner non point à la fureur (car
elle ménageait ses fards même en ses élans), mais avec autant de tendresse que
lorsque à Mespech, en ses enfances ensommeillées, je la portais deux étages en
mes bras jusqu’à sa coite. Et moi ne l’ayant pas vue de cinq mois, la serrai à
moi et ne sus, en mon émeuvement, que dire :
— Ma sœur ! Ma petite sœur
Catherine !
— Petite ! dit-elle, se
déprenant de moi. Où prenez-vous que je sois petite ? Bien le
rebours ! Je suis tant grande que vous ! Et se peut davantage !
Ce qui était la vérité du diable,
ses talons aidant, et sans compter l’échafaudage emperlé de ses beaux cheveux,
lesquels étaient encore dépassés par l’ample collerette à la Elizabeth qu’elle
affectionnait. Et moi, me reculant et la regardant de la tête aux pieds, et la
voyant splendidement attifurée d’un cotillon de brocart vert pâle brodé de fils
d’or, lequel, encore que je le visse pour la première fois sur elle, bien je me
ramentevais, je me pris à m’esbouffer comme fol, et la quittant incontinent
(fort encolérée contre moi et son œil bleu noircissant en son ire) je gagnai,
toujours riant, la chambre bleue où m’attendait Quéribus.
Le baron, en bon muguet de Cour,
était bien plus brassant et poutounant que son épouse, et sans se donner peine,
vu que nous nous accommodions fort bien l’un à l’autre tandis qu’avec
Catherine – si raffolés que nous fussions l’un de l’autre – les
querelles et bouderies étaient tant innumérables que les jours de pluie en
Île-de-France.
— Ha mon Pierre ! dit-il,
les salutations finies, courez faire vos bagues ! Le Roi vous requiert en
Paris !
— Quoi ? dis-je,
émerveillé, en Paris ? Au Louvre ? Près de Lui ?
Mais m’avisant tout soudain que
Quéribus ne savait rien ni de Marianne, ni de Mâcon ni de l’attentement contre
moi, je décidai de perpétuer la fable et fallace de mon exil et dis :
— Quoi ? Ma disgrâce est
remise ! Et comment ? Contez-moi cela ! Quelle en fut
l’occasion ?
— Nulle plus simple, dit
Quéribus. Le Roi, au réveil hier matin, a dit : Siorac a tant
merveilleusement curé le mal de gorge de M. d’Épernon que je ne doute pas qu’il
cure le mien aussi. Que fait-il donc en ses terres ? Mon Querelleur, allez
me le quérir ! Vous n’ignorez point, poursuivit Quéribus avec un rien de
piaffe, qu’Henri, depuis mon duel manqué avec vous, aime à m’appeler Querelleur
Quéribus, ou mieux encore : mon Querelleur !
Ce que, certes, je savais tout aussi
bien que lui, ne courant pas le risque de jamais oublier ce duel où j’eusse
perdu la vie, si Henri ne l’avait empêché. Mais sachant tout aussi bien la
réponse que Quéribus attendait de moi (le rollet de chacun étant, ces douze
années passées, de l’un à l’autre si bien établi), je dis :
— C’est que le Roi vous tient
en très grande affection.
— Je le crois aussi, dit
Quéribus en redressant sa taille de guêpe.
M’apensant après ce compliment que
mon rappel en Paris n’était point peut-être sans lien avec les remuements dont
venait de m’entretenir le curé Ameline, je dis :
— Qu’en est-il des affaires du
Roi ?
— Incommodes. Les princes
lorrains et divers grands de la noblesse ont formé une sainte ligue pour la
tuition et défense de l’Église catholique, et l’extirpation de l’hérésie.
— Voilà qui n’est pas neuf.
— Ce qui l’est, c’est qu’ils
ont passé traité au château de Joinville déclarant Navarre exclu du trône de
France comme
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