Le Prince Que Voilà
j’y posais de nouveau les
lèvres, elle me donna de son autre main deux petites tapes amicales sur la joue
en disant :
— Monsieur, j’aime vos yeux.
Ils sont bons et chaleureux.
Je me sentis au comble de la béance
et de l’émeuvement à la voir si gracieusement à moi condescendre et c’est peu
dire que je devins alors si amoureux d’elle que si je n’avais pas été un
Français naturel et attaché au service de mon Roi, je lui eusse, je crois,
consacré ma vie. Plus tard, revivant cette scène, – et tant d’autres
similaires m’ayant été contées par Lady T où Elizabeth, en deux mots
adroits, avait capté à jamais la bienveillance et le dévouement de tel ou tel
de ses sujets – je reconnus la part d’artifice et de politique qu’il y
avait dans les cajoleries de Sa Majesté. Cependant, je discernais aussi que
dans le même instant, le sentiment qu’elle exprimait, loin d’être faux, venait
bel et bien du bon du cœur, ce qui avait pour effet de servir mieux encore sa
fin, puisque sa sincérité même rendait ses caresses tout à plein irrésistibles.
Cependant, la Reine qui n’avait pas
manqué d’apercevoir l’effet qu’elle avait produit sur moi, étant trop femme
pour n’en pas être à son tour caressée, et d’un autre côtel, ne pouvant ignorer
par les dépêches de my Lord Stafford que j’allais lui apporter sur les
intentions de mon maître un son de cloche bien différent de celui de M. de
Bellièvre, voulut sans doute contrefeindre de ne pas être si impatiente de
l’ouïr (pour ce que son impatience eût trahi quelque crainte indigne de sa
royale dignité) et se laissa aller tout soudain à son humeur joueuse, joyeuse,
badinante et gaussante.
— Markby, dit-elle en souriant
à Lady Markby, qu’allons-nous faire de ce gentil Français ? Le marier à
quelqu’une de nos beautés anglaises afin que de le garder à notre Cour ?
— Plaise alors à Votre Majesté
de le marier à moi ! dit my Lady Markby en riant. J’aime fort les yeux
affamés dont il dévore les personnes du sexe.
— Mais Markby, dit Elizabeth en
riant, oubliez-vous que vous avez mari et maison en Shropshire ?
— À Dieu plaise que je l’eusse
oublié ! dit my Lady Markby avec une petite moue.
— Marions-le plutôt à ma belle
et bonne Lady T, poursuivit la Reine, puisqu’elle se trouve être veuve.
— Votre Majesté, dis-je en
entrant dans le jeu, rien ne me ravirait davantage, tant j’ai pour Lady T
affection et respect, mais je suis déjà marié en Paris.
— Ha ! quelle pitié !
s’écria la Reine qui assurément ne l’ignorait pas. Eh bien Markby ! si
nous ne le pouvons marier, donnons-lui, du moins, un surnom. Ainsi le
ferons-nous nôtre, enfermant son essence dans le mot dont nous le désignerons.
Sa Majesté parut contente de cette
phrase, tant elle était, comme mon maître, raffolée des préciosités verbales
qui s’encontraient alors à la mode qui trotte à sa Cour comme à la nôtre, et
comme surtout en Italie, où cette fureur de subtilités, de jeux de mots, de
métaphores et d’allitérations, avait, dit-on, pris naissance.
— Markby ! Mundane !
Walsingham ! s’écria la Reine avec pétulance en claquant dans ses mains
(lesquelles étaient très belles et ornées de bagues magnifiques), prêtez-moi
vos esprits ! Trouvez un nom incontinent pour le Chevalier de Siorac ! My moor, poursuivit-elle en adressant un sourire enchanteur à Walsingham
qui, en sa jaleuse humeur, paraissait bouder toutes ces cajoleries faites à un
Français. Un surnom pour Monsieur de Siorac !
— Renard, dit Walsingham d’un
air assez mal’engroin.
— Nenni ! nenni !
s’écria my Lady Markby en riant, s’il se mettait en un poulailler, il
mignonnerait les poules au lieu que de les gloutir !
— Grenouille, dit Mundane.
— Ha, Mundane ! dit la
Reine en riant, vous manquez d’imaginative ! Grenouille, c’était le Duc
d’Alençon, lequel était si petit, si tordu, et si charmant. Mais nous n’allons
pas appeler tous les Français « grenouilles ». Gardons le mot pour ce
pauvre Alençon, lequel j’eusse épousé, si mes ministres n’y avaient été si
contraires.
— Je ne sache pas, dit
Walsingham gravement, que Votre Majesté ait jamais fait autre chose que sa
volonté.
— En effet, dit la Reine.
Markby, un surnom, vite, pour Monsieur de Siorac !
— Furet, dit my Lady Markby.
— Voilà qui va mieux, dit
Elizabeth. Le furet
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