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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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que vous
ait pris la peine de passer l’eau pour me parler d’une affaire où il n’y a ni
honneur ni profit pour personne à vouloir changer ma volonté, la chose étant si
claire et la cause, si évidente. Encore que Mary Stuart me soit inférieure
puisqu’elle est en mon royaume, et non moi dans celui qui fut le sien et dont
elle a été chassée par ses sujets à la suite du meurtre de Darnley, je lui ai
rendu d’infinis offices d’amitié, ce qui ne l’a point détournée de sa mauvaise
volonté à mon endroit, tant est que je n’ai plus le sentiment d’être en sûreté en
mon logis et dans mon propre royaume, étant assaillie et épiée de toutes parts.
Elle m’a suscité tant d’ennemis que je ne sais plus où me tourner. Je ne suis
libre, mais captive. Je suis sa prisonnière au lieu qu’elle soit la mienne. Si
elle triomphait, ce serait, comme bien vous savez, la fin, et de moi-même et de
mon peuple, lequel j’ai juré au Seigneur Dieu de protéger. Je me parjurerais,
Monsieur de Bellièvre, si je vous accordais la clémence que vous quérez de moi.
Laquelle je n’oserais quérir du Roi de France, mon bon frère et votre maître,
en une circonstance où il en irait pour lui du salut de son État, comme il en
va du mien en cette affaire. Bien au rebours, je désire, prie et de plein cœur
souhaite que mon bon frère, le Roi de France, soit gardé et préservé de tous
ses ennemis comme moi-même des miens, qui ne suis qu’une pauvre femme et ai
tant de peine à résister aux assauts et embûches dont je suis accablée.
    Tandis que la Reine parlait, mon œil
se promenait tantôt sur Monsieur de Bellièvre et ceux des gentilshommes de sa
suite que je cuidais être ligueux, tantôt sur les faces des conseillers
d’Elizabeth, lisant sur les unes et les autres des impressions bien
différentes. Pour les premiers, malgré la courtoisie de cour qui leur polissait
quelque peu le visage, je les sentais controublés, hargneux et mal’engroin, en
particulier quand Elizabeth parla des ennemis de son bon frère Henri, ce qui ne
pouvait viser que les Guise. Pour les seconds, je les vis tout à la fois
contents de l’adamantine fermeté de leur souveraine, et fort émus en leur
protectrice virilité quand elle se décrivit comme une «  pauvre femme  »
assaillie d’embûches – du moins ceux qui entendaient le français, et que
je vis à voix basse translater le discours aux autres. Pour moi, je trouvais la
Reine extrêmement dextre à capter les cœurs de ses sujets, déployant tout à la
fois pour les séduire la force de sa résolution et la faiblesse de son sexe.
    M. de Bellièvre, qui malgré la pompe
dont il se paonnait, avait une grande usance des Cours et n’était point si
sottard qu’il ne sût ce que parler voulait dire, sentit qu’il ne gagnerait rien
à insister plus avant et fit à Elizabeth de longs remerciements de sa bénignité
à le recevoir, la Reine lui répondant quelques mots amiables sur sa personne
(alors même qu’elle l’avait si tabusté dans sa harangue) et lui accordant
gracieusement son congé, ses conseillers, qui n’avaient pas tant à
contrefeindre, gardant pendant ce temps une face plus roide que les falaises de
Douvres.
    À notre saillie de Richmond, je
demandai moi-même mon congé à M. de Bellièvre, lequel incontinent me le bailla,
d’aucuns de sa suite souriant d’un air entendu en me voyant monter dans la
coche de my Lady T qui m’espérait devant le porche.
    — Ha ! My lady ! criai-je en lui prenant la main, tout de gob que les tapisseries furent
rabattues et la couvrant de mes impétueux baisers, quelle admirable
Reine ! et avec quel émerveillable esprit, tant féminin que masculin, elle
entend son état et gouverne ses sujets ! Que je l’aimerais et servirais à
cœur content et jusqu’à la vie même, si j’étais anglais !
    — Monsieur, dit Lady T
avec un délicieux sourire, plaise à vous de ne me point tant lécher la
main : vous y allez avec tant de furia francese [58] qu’on dirait que
vous allez l’avaler (à quoi la chambrière en face de nous sur la banquette
basse se mit à rire à perdre souffle). De reste, cet avalement n’est point tant
nécessaire, puisque nous ne sommes pas en public.
    Là-dessus, elle me donna de son
autre main une petite tape sur la mienne, ayant avec moi des manières
infiniment affectionnées, câlinantes et taquines. Et moi, assis à son côtel en
cette étroite coche, sentant contre mon

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