Le Prince Que Voilà
damnant, je me maudis avec elle et je me sentis
excessivement malheureux à l’idée que le plaisir d’un moment si bref m’eût fait
perdre l’amour de toute une vie.
Ne sachant plus que faire et que
dire après d’inutiles supplications et prières de se confier enfin à moi, et
las de me tourner et retourner sur mon lit comme si jà les flammes me
rôtissaient (lesquelles, à ce que je cuide, ne sont jamais qu’intérieures et de
nous-même venant, pour ce que je décrois assurément les tourments de l’enfer
comme contraires à la bénignité de Dieu), je pris le parti de me lever et,
allant quérir ma vêture, de m’habiller sans piper mot, ma gorge étant quasi
sèche de mes vaines salives, et mon propos étant de me réfugier au
rez-de-chaussée dans mon petit cabinet pour y trouver le confort et
l’assouagement de mes livres. Angelina fut alors tant surprise de ce
déportement qu’elle recouvrit tout soudain la parole et me dit d’un ton fort
âpre :
— Que faites-vous ? Où
allez-vous ? Retournez-vous en Angleterre ?
Ah ! Belle lectrice qui, se
peut, avez eu quelque événement dans votre vie à cacher à votre amant, et
celui-ci vous soupçonnant en un périlleux entretien, découvrez avec un
soulagement infini qu’il vous croit innocente où vous ne le fûtes pas, et coupable
où vous fûtes innocente (et le pouvez prouver), jugez combien se desserra à ces
mots d’Angelina la poire d’angoisse qui me gonflait la gorge.
— Quoi ? dis-je, riant
tout de gob à gueule bec, l’Angleterre ! Vous a-t-on fait des contes sur
la belle Lady T et moi-même ?
— Belle ! s’écria Angelina
en son tumultueux courroux, osez-vous la dire belle à mon nez ?
— Mais elle l’est, dis-je
toujours riant, et de surcroît fort vertueuse et si fidèle à sa Reine qu’elle
consentit, sur son commandement, et à me loger chez elle, et à contrefeindre
avec moi d’amoureux rapports qui n’avaient dans la réalité des choses, ni
moelle ni substance.
— M’amusez-vous ? dit
Angelina, se soulevant sur son coude pour mieux m’envisager. Où seraient
l’intérêt et l’usance d’un lien prétendu ?
— Grandissime pour ma sûreté,
puisque je devais entretenir la Reine en secret des desseins de mon maître sans
que le sussent Bellièvre et ses gentilshommes : raison pour quoi je ne
logeais point ès auberge avec eux.
L’innocence a ceci d’infiniment
confortant qu’elle vous baille une grande force qui vous retient de protester
trop ; comme vous y pousse, à l’accoutumée, la pente du mensonge, lequel a
tendance à se nourrir de lui-même et à se multiplier en bourgeons malvenus. Mes
rires qui étaient de soulagement, l’affirmation de la beauté de Lady T
(qu’un coupable eût lâchement niée) la réticence que je gardais touchant
l’objet de ma mission (dont mon épouse savait qu’elle m’était coutumière) et
par-dessus tout, le peu de soin que je mis à me disculper, tout convainquit
Angelina que les méchants becs de la Cour l’avaient abusée et à peu qu’elle
n’attentât alors de s’excuser d’avoir douté de ma foi, excusation que
j’interdis à ses lèvres en les baisant, tant la remembrance de Boulogne la
rendait incommode à ma conscience.
On parla encore une grosse heure des
charmes et des soucis de notre domestique, de nos enfants qui, la Dieu merci,
étaient beaux et gaillards, du percement de la porte du logis attenant que
j’avais acheté pour y loger Giacomi, tant pour la stratégie de retraite que
Miroul et moi avions conçue dans le cas d’une émotion populaire que pour
complaire à mon épouse que l’idée ravissait d’avoir bientôt si proche d’elle,
maintenant qu’elle était mariée, sa tant chérie jumelle dont la déprivation,
ces dix années passées, lui avait été si cruelle. Tant est qu’à la fin,
aquiétée et accoisée, elle s’ensommeilla dans mes bras ; et moi, à la
lueur du calel, j’envisageais non sans une profonde tendresse et quelque petit
remords, ces joues où les dernières larmelettes avaient laissé quelques traces.
Mais hélas, comme on sait, le mauvais de nos corps, c’est que nous donnant
tant, ils nous enlèvent tant aussi et qu’on ne peut s’endormir dans les bras de
son aimée sans qu’à la longue les membres emmêlés ne se lassent et
s’engourdissent, tant est qu’à la fin il faut se déprendre et se séparer.
Mon pensement alors d’elle
s’éloignant aussi, et me remettant en
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