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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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une odeur de roussi et de soufre, et
sachant – bien mieux que personne – que les maudits ne peuvent
espérer justice en ce royaume.
    — Les maudits, Fogacer ?
    — Les huguenots, les juifs, les
athées, et les sodomites. Et moi qui suis des deux derniers, j’étais donc en
grand péril d’être brûlé deux fois, quand une seule eût suffi. Ha ! Quel
siècle cruel, mon Pierre ! Que de zèle à plaire à Dieu en navrant
l’homme !
    Sur quoi il s’esbouffa, mais avec la
face de qui prend le parti de rire, ayant mille raisons de pleurer.
    — Savais-tu que j’étais à
Mespech ? dis-je, m’étant un moment accoisé.
    — Point avant d’arriver en
Sarlat où, à mon immense confortement, j’entendis que tu t’étais tiré sain et
gaillard de la Saint-Barthélemy. Peux-je, mon Pierre, poursuivit-il en se
dressant sur son séant et en m’envisageant œil à œil, demeurer en Mespech le
temps qu’il faudra pour que s’assoupissent les cléricales vigilances ? Mon
projet est de tirer ensuite vers Bordeaux et de là, gagner La Rochelle où,
d’après ce que j’ouïs, mon maître est pour assiéger les huguenots qui s’y
remparent.
    — Gentil maudit, dis-je avec un
sourire, dois-tu aider le Duc d’Anjou à mettre en pièces d’autres
maudits ?
    — Nenni, mi fili, dit
Fogacer, ce n’est point l’aider en son entreprise que d’attenter de le curer de
ses intempéries. Le seul sang que je tirerai est le sien, lequel étant bleu, me
protégera de la persécution.
    À quoi je ris et assurai Fogacer
qu’il pourrait demeurer en Mespech aussi longtemps qu’il le trouverait bon, mon
père sachant bien que je lui avais dû la vie en Montpellier, quand les juges me
voulaient chanter pouilles pour le défouissement que l’on sait et mes amours
sur une tombe avec un cotillon diabolique.
    La neige tomba si dru et si
continuement dans les jours qui suivirent l’arrivée en nos murs de Fogacer
qu’elle menaça d’interdire par son abondance les chemins de nos alentours,
celui de Sarlat étant d’ores en avant impraticable et nous coupant du siège de
la sénéchaussée. Ce qui, au dire des anciens de nos villages, ne s’était point
vu en Périgord depuis soixante-sept ans, tant est que la frérèche, consultant
avec les nobles du voisinage, décida de mettre les laboureurs à la tâche pour
vaincre cette incommodité et garder à tout le moins ouvertes les voies entre
les châteaux et Marcuays. Labour de Sisyphe que celui-là et fort dur aux
pauvres gens qui suaient dans l’aigre bise à pelleter sur les côtés la neige,
sachant bien qu’ils seraient pour recommencer le lendemain ; infinie
corvée qu’ils devaient aux seigneurs et qu’ils acceptaient fort à contre-poil,
pour ce qu’ils n’y touchaient pas salaire, Mespech étant la seule châtellenie à
servir aux siens une soupe chaude, et une seule, de tout l’interminable jour.
    Je voulus aller aider au déneigement
des abords de Mespech avec Samson (mais non François qui trouva la chose
indigne de son rang) et dès que ma résolution fut connue, il n’y eut homme
valide en Mespech qui ne voulût m’accompagner, et jusqu’à Giacomi, Fogacer et
Quéribus, lequel, tout muguet qu’il fût, laboura d’arrache-peau, se piquant d’honneur
à ne pas pelleter moins que moi. Sanguienne ! Que rude, et dure, et rufe
fut cette journée pour nous, et pour nos paumes pâtissantes, sauf pour Giacomi
qui avait pris le soin de se ganter, ne voulant pas gâter ses mains
d’escrimeur ! Avec quelle friandise, de retour à Mespech, bien avant la
nuitée, nous gloutîmes une collation d’avant repas ! Et avec quelle joie
et confortement, Quéribus, Samson et moi nous encontrâmes en la chambre de
Gertrude, bon feu cramant dans l’âtre, chandelles illuminantes, et nos belles
et gentilles dames, fort occupées à ajuster leurs robes et affiquets pour la
fête du 10 novembre à Puymartin. Ha ! Le bruissement des brocarts et
satins ! le scintillement des perles et des pierres ! l’enivrement
des parfums ! le doux babil ! et les gestes rondis et gracieux de nos
nymphes en leurs joyeux affairements ! Quelle ne fut pas ma bonne heure,
m’apensai-je, me dilatant à ces délices, d’être né en château, et non point en
masure ; sans quoi à cette heure, je serais encore à suer et peiner avec
nos laboureurs.
    Ma petite sœur était là, et plus
affectionnée à Gertrude qu’elle ne l’avait jamais été, pour ce que celle-ci,

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