Le Prince Que Voilà
c’est qu’ayant
décidé de ne pas dépêcher le Duc, pour ce qu’il voyait de présent émerger
derrière son dos la forêt de mâts de l’Invincible Armada, il voulut en
donner le bénéfice à sa mère, afin que de conserver en elle ce truchement entre
le Duc et lui, par quoi il se pouvait former à tout instant quelque idée des
intentions d’un ennemi qu’il savait redoutable, mais fluctuant et
vacillant : jeu subtil et trouble, où chacun machiavélait l’autre :
Catherine minait le pouvoir de son fils en feignant de le servir, et il
contrefeignait de la croire en la mettant à usance pour s’informer sur les
sapes du Duc.
— Madame, dit-il à la parfin,
si vous vous faites fort de me faire restituer mes villes picardes et de
persuader le Duc de départir au plus tôt de cette Paris où sa présence me fait
ombrage, je vous en saurais un gré infini. Je vous suis déjà fort obligé d’une
infinité de biens que j’ai reçus de vous. Et vous m’obligeriez davantage en
coupant, par une bonne pacification entre le Duc et moi, la racine des
calamités auxquelles nous sommes en danger de tomber. Mais, Madame, vous voilà
pâle, dolente et mal allante. De grâce, retournez à votre couche et ne la
quittez que votre santé ne s’améliore. Quant à moi, je m’en vais montrer au Duc
un front plus doux.
S’inclinant alors devant elle avec
bonne grâce et dans son œil une irrision voilée, il quitta l’embrasure de la
fenêtre et se dirigea vers le Guise, toujours remparé, comme disait d’Ornano,
par les cotillons de la Reine et de la duchesse d’Uzès. Et envisageant le Duc,
la face moins sévère, quoique toujours froidureuse assez, il lui dit d’un ton
plus calme :
— Mon cousin, j’ai mon déjeuner
à prendre. Vous avez le vôtre. Revenez, votre repue finie, renouer céans notre
entretien.
Ce disant, il lui présenta la main
que le Duc se dressant et mettant un genou à terre, baisa quasi dévotement.
Quoi fait et se relevant, il salua le Roi une deuxième fois jusqu’à terre,
n’étant pas chiche en génuflexions ; puis, sans faire plus de cas de la
Reine-mère que si elle eût été une chèvre morte, elle qui, en apparence du
moins, l’avait sauvé, il se dirigea, sans jouer de son reste, à grands pas vers
l’huis que Crillon et d’Ornano, le chapeau sur la tête, le laissèrent seul
ouvrir, l’arquebusant pendant ce temps de leurs meurtriers regards. Et si
jamais homme, à mon sens, se sentit stupéfait de se retrouver vivant hors le
Louvre après l’accueil qu’il y avait de prime reçu, ce fut bien ce 9 mai,
le Guise. Et qu’il ait pu oublier plus tard en sa folle outrecuidance le péril
où il s’était fourré ce jour-là, c’est, à l’heure où j’écris ces lignes, ce qui
m’étonne encore.
À peine le Guise départi, le Roi
congédia tout son monde, sans excès de tendresse ni pour Bellièvre, ni pour les
princiers cotillons qui avaient protégé le Duc et, resté seul avec Du Halde,
Chicot et moi (qu’il avait contrefeint d’oublier dans un coin), il me dit que
non content de prendre langue avec Mosca, je devais parcourir, de cette heure
et sans trêve les places, rues et ruelles de la capitale pour prendre le pouls
du peuple, chose qu’il n’avait pas scrupule à quérir de moi, pour ce qu’il ne
la croyait plus tant périlleuse, ayant observé qu’aucun de ceux qui s’étaient
trouvés en ces appartements et qui pourtant bien me connaissaient ne m’avait
reconnu en raison de ma barbe, de la platitude de mes cheveux et de ma vêture,
et qu’il désirait, mes missions accomplies, qu’à toute heure du jour, passant
par la Porte Neuve, les Tuileries et le guichet dérobé, je pusse avoir accès à
lui pour lui communiquer le suc et la substance de mes informations.
Je fus ravi que le Roi me mît à
cette usance dans le prédicament quasi désespéré qui était le sien, et je
n’épargnais pas mes peines, ni celles de mon Miroul, à parcourir la capitale et
prendre langue, çà et là, avec ses manants et habitants, me donnant pour un
maître-bonnetier de Boulogne visitant sa commère en Paris, ma médaille de Marie
non point dans ma chemise, mais sur mon pourpoint déployée, un chapelet de
nacre enroulé autour de mon poignet dextre et ma bouche gonflée de propos
ligueux, ceux-là mêmes que j’oyais partout, dans les rues, les échoppes, les
places publiques, les marchés et les églises. En celles-ci, en particulier,
j’étais
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