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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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monde
entier sait combien je vous aime et combien je vous ai obéi, mais pour la
présente affaire, il n’en sera pas ainsi. Point n’irai en Paris.
    — Ha Monsieur mon fils !
s’écria la Reine-mère, les larmes coulant sur ses grosses joues, je vois bien
ce qu’il en est. C’est l’affaire des barricades qui a posé sur vos yeux ce
bandeau rancuneux, lequel vous retire tout à plein l’usance de la claire
raison.
    — Raison pour vous est pour moi
folie pure, dit le Roi d’un ton fort abrupt et sans se retourner.
    — Ha mon fils ! s’écria la
Reine-mère, serait-il bien possible que vous eussiez changé tout soudain votre
bon naturel ? Car je vous ai toujours connu d’une humeur accommodante, de
complexion douce, de disposition facile et pardonnante.
    — Ce que vous dites est vrai,
Madame, dit le Roi en lui faisant face et souriant de la moitié du bec, mais
qu’y peux-je ? On m’a changé ! C’est vrai aussi !
    Et tout soudain, s’esbouffant de
rire à son nez, il s’écria :
    — C’est le méchant d’Épernon,
comme chacun sait, qui m’a gâté mon bon naturel ! Raison pour quoi il
encourut ma disgrâce !
    Disant quoi, il lui fit, riant à son
nez avec la plus profonde irrision, un grand salut et, lui abandonnant la
place, s’en fut d’un pas rapide.
     
     
    Ayant ouï ceci, je fis de prime
quelques compliments à Quéribus sur le joli conte qu’il m’en avait fait,
compliments sur lesquels, après les avoir friandement lapés, il renchérit,
comme à son ordinaire :
    — Avez-vous observé, dit-il les
deux mains sur ses hanches, la gentille allitération dont j’ai usé en mon
récit ? « brimborions et broutilles » ? N’est-ce pas du
dernier mignon ? Cela me vient sans étude et quasiment sans y songer.
Comment la trouvez-vous ?
    — Fort gracelette.
    — Le Roi en fut dans le
ravissement. Tout soucieux qu’il soit des affaires de l’État, il a bien voulu
en sourire. Et ce n’est pas assurément maigre compliment qu’un sourire d’Henri,
lui qui est passé maître en « parler exquis », comme disait le pauvre
Pibrac. Mais que je vous dise, mon frère, le Roi était à son dîner, et moi
derrière la barrière dorée avec un très petit nombre de gentilshommes, cette
faveur devenant rare. Et moi, trouvant le Roi fort sombre à son rôt et le
voulant dérider, je dis : Sire, pensez-vous qu’on pourrait dire de choses
sans conséquence : « Ce sont brimborions et broutilles. » C’est
alors, mon frère,…
    — Qu’il sourit.
    — Oui-dà ! il
sourit !
    — Il est de fait, dis-je, que
vous êtes fort avancé dans la faveur du Roi, et que je suis bien aise que votre
crédit à la Cour puisse épauler le mien.
    — Ha Monsieur mon frère, dit
Quéribus qui jugea bon, ici, de contrefeindre quelque modestie, je crois, en
effet, que le Roi m’aime assez. Et pour moi, comme vous savez, je me ferais
tuer pour lui.
    Ce qui, au rebours de ce qui avait
précédé, ne me donna pas à rire, parce que c’était vrai, comme vraie est
l’Évangile, les faiblesses de Quéribus ne courant qu’à la surface, le cœur
étant si loyal, au rebours de quelques grands seigneurs que je pourrais dire,
dont la belle écorce d’obéissance cache une sève corrompue.
    — Cette rupture entre Catherine
et le Roi, poursuivit Quéribus, eut lieu le samedi 30 juillet. Et le Guise
advint à Chartres le mardi 2 août, et mon frère, vous imaginez, le
connaissant, les bonnetades et les génuflexions du Magnifique devant le Roi,
lequel le releva, lui donna une forte brassée (que ne l’a-t-il, ce faisant,
étouffé !) le baisa sur les deux joues, et l’invita à sa table. Sur quoi
l’échanson leur ayant versé à tous deux à boire, le Roi dit, la face fort
enjouée :
    — Mon cousin, à qui donc
boirons-nous ?
    — Mais Sire, dit le Duc de
Guise, à qui vous plaira. C’est à vous d’ordonner. Je ne serais que trop aise
de vous obéir.
    — Eh bien ! dit le Roi
avec un sourire d’irrision, buvons à nos bons amis les huguenots !
    — Fort bien donc ! dit le
Duc, ravi, pour ce qu’il entendait bien la malice de cette tostée-là.
    — Mais buvons aussi, dit le
Roi, à nos barricadeux de Paris. Buvons aussi à eux ! Et ne les oublions
pas !
    À quoi le Duc de Guise rit, mais
d’un ris qui passait mal le nœud de la gorge, pour ce qu’il se trouva fort
déquiété de cet étrange amalgame, que faisait le Roi entre les huguenots et

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