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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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temps que je
fus à l’Auberge des deux pigeons, je vis tous les lundis arriver un fort
peloton en notre aile du bâtiment. Lequel peloton était fort peu désoccupé de
l’aube à la nuit et dont quelqu’une, à tout coup, me croyant de ces
gentilshommes, me proposait ses offices, lesquels je refusais, n’ayant pas
appétit aux amours vénales et rustiques, ces garces étant filles des villages
de Loire tombées en ribauderie urbaine pour une enflure du ventre qui les avait
fait chasser de leur paroisse par leur curé.
    Les deux Gascons qui m’accueillirent
en leur chambre se nommaient Messieurs de La Bastide et de Montseris, tous deux
fort nobles et fort gueux, étant cadets de peu riche province et m’auraient
fait maigre chère et pis accueil, comme je le vis dès l’entrant, si je n’avais
été d’oc et ne les eusse de prime adressés en une parladure fort proche de la
leur, ce qui les ébaudit et les mit avec moi et mon Miroul en fiance et amitié,
pour ce qu’ils déprisaient toutes bonnes gens au-dessus de la rivière de Loire
à proportion qu’ils étaient d’elles déprisés.
    Or, ils l’étaient, et même haïs,
pour la raison que la Ligue et le Guise, tenant les quarante-cinq pour
un incommode rempart entre le Roi et leurs entreprises, les eussent voulus au
diable de Vauvert, la Boiteuse et ses prêchereaux inventant je ne sais combien
de fallaces sur eux, assurant entre autres horreurs que, rampant en Paris la
nuit comme tigres de sang assoiffés, ils égorgeaient les passants et les
jetaient en la rivière de Seine, les couvrant au surplus d’insultes, les
appelant «  les fendants du Roi  », ses «  coupe-jarrets  » ;
ou ses «  diables gascons ».
    Si La Bastide et Montseris tenaient
du démon, je ne sais, mais je les trouvais assez bons diables et fort reconnaissants
au Roi de les traiter si bien, recevant de lui mille deux cents écus de gages
par an, et par-dessus, «  la bouche à court  », comme on dit en
Paris, ce qui signifie qu’ils étaient nourris gratis, et entre autres
avantages, comme j’ai dit déjà, de la ribaude sans bourse délier et à leur
suffisance. Vie qui les faisait très contents en comparaison de leur mésaise de
Gascogne en château délabré.
    En outre, c’était là, du moins quant
aux deux que j’ai dits, La Bastide et Montseris, bonnes gens, mais simples, mal
décrassés de leur terroir natal, sentant furieusement l’ail et la sueur,
sachant à peine lire, entendant le français mais le parlant fort mal ; de
reste, comme on l’imagine, fort tournés aux athlétiques exercitations, au tir
au pistolet et au jeu de l’épée, où je les ai vus s’exercer en notre chambre,
quasiment du matin au soir, en huchant à tue-tête comme s’ils allaient
s’entrégorger, alors qu’ils s’aimaient comme frères ; cette noise me
déquiétant excessivement de mon repos, et pis encore la nuit, leurs ronflements
jumeaux (pour ce qu’ils couchaient dans un lit jouxtant celui de Miroul et du
mien), lesquels ronflements de forge nous tympanisaient du couchant à la pique
du jour, l’un reprenant, lorsque l’autre, par miracle, cessait. Pour ne rien dire
ici du lundi (jour des ribaudes) où, consignés dans la chambre avec Miroul pour
nos sûretés, je ne pouvais que je n’assistasse à leurs endiablées sarabandes,
lesquelles duraient quasiment tout le jour, le remuement et surtout la vacarme
passant l’imagination, pour ce qu’ils troussaient ces pauvres garces comme
s’ils eussent monté à l’assaut, avec des « Cap de Diou ! » et des «  Mordi ! » , et autres effroyables jurements,
toutefois avec les loudières, une fois l’assaut fini, point du tout méchants ni
brutaux, les mignonnant à l’infini en leurs bras velus, et leur chantant (à
ébranler les murs) des romances en oc, lesquelles étaient fort délicates, mais
à quoi les pauvrettes n’entendaient goutte, étant de Loire. De leur physique,
point grands mais fort vigoureux, bien pris en leur taille moyenne, la
membrature sèche et point une once de graisse, combien qu’ils mangeassent comme
ogres (pour se rattraper, se peut, des disettes paternelles), agiles et dextres
au moindre branle. De leur face, à peine si je pouvais distinguer La Bastide de
Montseris, et Montseris de La Bastide, pour ce que leur poil noir, épais,
foisonnant, montant quasiment jusqu’aux sourcils, la leur mangeait toute, à
l’exception du nez qu’ils avaient grand et de l’œil qui, au

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