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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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cardinal entra comme s’il eût monté à l’assaut, le pas furieux, sa
longue robe pourpre balancée à son alentour, grand et mince, et de sa face fort
beau, l’œil noir jetant des éclairs, la bouche quelque peu tordue en son ire et
la narine frémissante comme s’il eût respiré la poudre.
    Le Roi, le torse redressé sur sa
chaire, les deux mains sur les accoudoirs, immobile et majestueux, ne lui
présenta pas la main et c’est à peine, de son côté si le visiteur s’inclina
devant lui.
    — Du Duc de Guise et du
cardinal, poursuivit Montaigne avec un sourire plein d’irrision, le moins
chattemite, le moins moine, le moins génuflexant, le plus épargnant en
bonnetades, baise-mains, sourires et onctueux propos, c’est comme vous savez,
le cardinal, lequel, brandissant en sa main gantée de pourpre le discours
imprimé du trône, tança le Roi et le morigéna quasi comme un enfant de ce qu’il
eût présumé écrire et dire publiquement que «  d’aucuns grands de son
royaume  » avaient fait «  des ligues et associations contre son
autorité  » ; que cette imputation était claire ; qu’elle
était injurieuse ; qu’il ne la saurait souffrir, pas plus que son frère le
Duc, pas plus que le clergé, pour ce que tout ce qui avait été fait par eux
l’avait été pour la seule défense et préservation de la religion
mourante ; que Sa Majesté devrait retenir avant leur envoi les discours
imprimés, y barrer de sa main la phrase sacrilège et faire derechef imprimer
sans elle ledit discours ; que si Sa Majesté n’y voulait satisfaire, le
clergé, en ayant délibéré, avait décidé de s’ôter incontinent des États et de
vaquer Blois, suivi par le tiers état, et se peut par la noblesse ; que le
Duc son frère était résolu quant à lui de se retirer en sa maison, ne servant
plus en rien à Blois en cette dissolution des États.
    — Ha, criai-je indigné, la
damnable impudence de ce docteur ès mensonges qui, niant que le noir est noir,
affirme que son parti n’a pas fait des brouilleries au Roi, ou que ces
brouilleries étaient saintes ! Que fit le Roi ?
    — Qu’eût-il pu faire sinon
capituler ? dit Montaigne. Le cardinal lui tenait le cotel sur la gorge.
Les États de soi se dissolvant, point de pécunes ! Et Monsieur de Guise
départi de Blois, c’était la guerre ! Et la guerre sans pécunes !
    — De quelle mine céda le
Roi ? dis-je au bout d’un moment.
    — Imperscrutable. Le cardinal
lui fit lire et signer une rétraction de la « phrase sacrilège ». Or,
tandis que le Roi lisait, le temps qui, dès la pique du jour, s’était montré
sous son plus sombre et pluvieux visage, se fit plus noir encore. Tant est que
l’obscurité en la chambre devint si grande qu’il fallut allumer un bougeoir
pour que le Roi pût poursuivre la lecture qu’il faisait du billet et le signer
au bas. Ce qui amena François d’O qui se tenait avec moi dans l’embrasure de la
fenêtre à me chuchoter à l’oreille que c’était la dernière volonté du Roi qu’on
avait écrit là et qu’on allumait la chandelle pour lui voir jeter son dernier soupir.
    — Ha ! criai-je,
nenni ! nenni ! Ce dernier soupir ne sera pas le sien, j’en suis bien
assuré ! Le Roi aux États a affirmé avec la dernière force les principes
de sa politique. Il a en droit condamné d’avance le Guise et de présent, devant
des forces supérieures, souplement cède, louvoie, cale la voile, mais
sans perdre de vue la côte où il entend bien aborder.
    — La fortune en décidera !
dit Montaigne, qui me laissa surpris qu’il eût en cette occasion dit la «  fortune  »
et non pas «  Dieu  », usage constant en ses Essais, à ce
que je notais plus tard, et que lui reprocha aigrement la censure que fit Rome
de ses écrits. Ce qui me ramentoit que Montaigne en cet entretien me dit encore
que pour avoir bien connu Guise et le Roi de Navarre, il opinait que le premier
n’était guère catholique et le second, guère protestant… Et pour moi, ayant en
l’oreille ce propos et ayant réfléchi à cet emploi que Montaigne faisait du mot
«  fortune » en lieu et place du mot «  Dieu  »,
j’opine que Montaigne, lui, n’était guère l’un, et très peu l’autre. Je le dis
ici sans en rien détracter des mérites de ce grand homme.
    — Le mauvais de la chose, me
dit-il le lendemain, comme il prenait congé de moi, emportant en ses bagues une
lettre de ma main pour mon père,

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