Le Prince Que Voilà
raison qu’il l’avait de prime choisi. À mon avis, ce silence fut la seule
cause pour quoi le Roi le renvoya peu de temps après, ayant eu cette suspicion
que Montholon ménageait le Guise : ce qui, je crois bien, était faux.
Quoi qu’il en soit, Montholon
s’accoisant, sa paupière refermée sur son œil rond, le Roi n’ajouta pas un mot,
mais quérant à Du Halde l’heure qu’il était à la montre-horloge qui pendait à
son cou, il dit qu’il ne pouvait demeurer trop longtemps hors sa principale
maison et nous donna congé, soit qu’il voulût méditer encore sa décision, soit
que plutôt, sa décision prise, il désirât l’envelopper du nécessaire secret, en
en fixant seul la date et les circonstances.
Le 20 décembre, qui était un
mardi, je reçus derechef à la nuitée à l’Auberge des deux pigeons, la
visite de Venetianelli, lequel parut fort jubilant à l’idée de satisfaire sa
mauvaise dent contre son protecteur, en déchargeant dans mon giron les
nouvelles qui lui gonflaient les joues. Cependant, sentant bien tout le poids
et la valeur desdites nouvelles, il voulut de prime en barguigner le prix avec
moi et me requit de lui rendre la bambola, avant même qu’il n’ouvrit le
bec. Et moi n’y voulant de prime consentir, mais ardant fort à conserver les
bonnes grâces du vaniteux et chatouilleux guillaume, je lui fis des caresses à
l’infini, et comme Margot m’apportait mon repas, je le priai de le partager
avec moi, lui disant que j’étais pour lui en de tels sentiments d’amitié et de
fiance que je ne voulais pas lui cacher ma face plus longtemps. Ce disant, je
me démasquai (ce à quoi de toutes manières, j’étais contraint par ma repue), et
lui assurai que la fois prochaine je lui dévoilerais, et mon nom et ma
parentèle, laissant entendre qu’ils étaient des plus hauts dans le
royaume ; que cependant, pour la bambola (que je plaçais entre lui et
moi sur la table) je le suppliais d’avoir pour agréable de me laisser décider
du moment où je la lui rendrais. Ce à quoi le Venetianelli à la parfin
consentit, tant il était submergé par ma civilité et ma condescension.
— Monsieur, dit-il, dès que
Margot, nous ayant apporté les viandes et les flacons, eut clos l’huis sur
nous, ce que j’ai à vous dire tient en un mot, mais ce mot à lui seul, vaut
tout un livre, tant il est lourd et gros de conséquences pour les Grands qu’il
concerne : le « grand de Blois », comme dit Nostradamus,
par quoi le Roi est clairement désigné, et son « ami », lequel
par antiphrase, ne peut désigner que le Guise.
— Ha, dis-je, n’avançant la
patte en cette délicate matière que pour la retirer, vous connaissez la
prédiction de Nostradamus !
— Je la connais, dit le
Venetianelli avec un air d’immense et incommunicable sagesse, et je la crois
tout à plein certaine, étant par elle fermement assuré que le « grand
de Blois », comme l’a prédit l’illustre mage, ne peut qu’il ne tue
« son ami » : cela est écrit dans les astres.
— Ha ! les astres !
dis-je en souriant, lesquels, d’après Regiomontanus, avaient déjà prédit la fin
du monde en 1588 ! Nous voilà à dix jours de 1589, et le monde est
toujours là, solide comme jamais, et peu disposé, semble-t-il, à s’effriter
sous nos pieds…
— Monsieur, dit le
Venetianelli, si vous ne croyez aux astres, croyez du moins aux caractères. Si
je devais dire au Guise qu’on le tuera demain, il me rirait au nez. À quoi sert
de tendre un miroir à un homme, si sa puissance l’aveugle ? Le Guise est
un Lorrain, et encore que la Cour de France l’ait quelque peu décrassé, il se
ressent encore d’une lourdeur germanique qui ne peut qu’elle ne soit trompée à
la longue par la florentine finesse du fils de la Médicis. En outre, le Roi est
bougre, et qui dit bougre dit comédien.
— Signor , dis-je en
souriant, j’admire fort votre lucidité vénitienne, mais de grâce, ne m’affamez
pas plus longtemps, dites le « mot » que vous m’avez annoncé, et je
jugerai s’il vaut, comme vous dites, tout un livre.
— Ou à tout le moins une
poupée, dit le Venetianelli. Monsieur, le voici. Vous me direz s’il n’est pas
chargé de poudre jusqu’à la gueule : Demain, Monsieur, au plus tard
demain, après messe ou après vespres, le Guise dira au Roi, qu’étant lassé et
meurtri de toutes les suspicions que lui valent auprès de Sa Majesté
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