Le Prince Que Voilà
dispositions à son endroit, c’est ce dont je suis bien persuadé,
ses jugements sur les hommes, sauf quand la passion le menait, étant à
l’accoutumée si sûrs et si pénétrants.
— Monsieur de Siorac, reprit le
Roi en m’envisageant de nouveau, vous avez connu il y a quelque douze ans
(faisant ainsi une fort discrète allusion à l’assassinat de Coligny) mon cousin
le Roi de Navarre.
— Oui, Sire. J’ai cheminé une
nuit avec lui du Louvre à la rue de Béthisy, (laquelle était la maison où
gîtait Coligny lequel, pas plus que le Roi, je ne voulais nommer en cet
entretien), et nous avons ensemble devisé.
— Et cuidez-vous qu’il se
ramentevra de vous ?
— Je crois que oui, Sire, si je
ne présume pas trop. Le Roi de Navarre m’a hautement loué de ce que,
gentilhomme, j’avais étudié la médecine : circonstance qui le frappa prou.
— Voilà qui lui ressemble, dit
Henri avec un souris. Le Roi de Navarre, en bon huguenot, a la religion de
l’utile.
— C’est même toute la religion
qu’il a, dit Chicot.
— Silence, mon fol, dit le Roi
sévèrement. Des consciences personne n’est juge, pas même toi, Chicot, si sage
et si fol que tu sois. Monsieur de Siorac, reprit-il, Monsieur mon frère étant
mourant et la Reine ne m’ayant pas donné de fils, je n’ai ni ne veux d’autre
héritier qu’Henri de Navarre. En outre, je l’estime fort. C’est un Prince bien
né et de bon naturel. Mon penchant a toujours été de l’aimer et je sais qu’il
m’aime. Il est un peu colère et piquant, mais le fond est bon. Je m’assure que
mes humeurs lui plairont et que nous nous accommoderons bien ensemble. J’ai le
propos, dans une petite semaine, de députer vers lui le Duc d’Épernon pour le
mander que je le reconnais comme mon héritier, pour peu qu’il consente à se
convertir à la religion catholique, et à cette occasion, Monsieur de Siorac, je
vous saurais grand gré d’accompagner en son voyage en Guyenne le Duc d’Épernon,
lequel souffre quasi continuement de la gorge et s’encontre sans son médecin,
celui-là étant cloué au lit par la maladie.
— Sire, je ferai là-dessus tout
votre commandement, dis-je en soulignant le tout, pour ce qu’il ne
m’échappait pas que la curation du Duc d’Épernon n’était pas toute la
mission que le Roi me confiait et qu’il laissait la part qu’il ne voulait dire
à mon imagination.
— Mon petit Henriot, dit
Chicot, moi qui suis un si dévot suppôt du Magnifique, ta décision me jette
dans la désolation ! Quoi ! Tu préfères Navarre, qui est hérétique et
qui pis est relaps, à son oncle, le gros sottard, lequel est bon catholique,
puisqu’il est cardinal, et en outre, tant gâteux qu’il chie sous lui ! Le
méchant choix que tu fais là ! Et qui va faire hurler à tes chausses les
Guisards, les prêtres, les prédicateurs et la Montpensier, laquelle, encore qu’elle
boite à dextre, est tant légère de sa cuisse senestre que son frère, le grand
Putier. Ha Henriquet ! Fais donc fi des règles les mieux établies de la
succession ! Préférons, si m’en crois, la branche cadette à la branche
aînée ! Et l’oncle embrenné au vaillant neveu ! Havre de grâce, le
gros sottard devenu Roi et troquant sa crosse pour le sceptre, voilà le
Magnifique connétable ! Choix céleste, Henricus ! Voulu par le
Seigneur Dieu, le Pape, l’Espagnol, le peuple de Paris et les plus vociférants curés
de la capitale ! Que d’ennemis stridents tu te fais ! N’es-tu pas
assez haï comme tu l’es ?
— Je le suis à ma suffisance,
dit Henri III qui, ayant écouté fort attentivement son fol, lui répondit
avec une gravité qui m’étonna : – Mais, Chicot, retiens bien ceci en
ton esprit : les règles de la succession commandent au Roi et il ne
saurait à sa guise les enfreindre sans ébranler les fondements du royaume.
Navarre est par ces règles mon légitime successeur. Et je ne saurais décider à
son préjudice que tel ou tel autre le soit. Je n’ai pas fait, lors de mon
sacre, jurement d’exclure un Prince de ma succession sur le fait de la
religion. Et ce n’est pas non plus une chose qui se puisse décider de mon
autorité privée. L’État ordonne. Et convaincu que je suis que le bien de l’État
en cette occasion le commande aussi, je suis fort aise en ma conscience de
désigner Navarre pour mon successeur.
À quoi Chicot, oubliant son rollet
de bouffon, s’accoisa, et je me tus
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