Le Prisonnier de Trafalgar
La vision d’horreur remonta soudain devant ses yeux.
— Pourquoi a-t-il tué cet enfant ?
— Pourquoi fait-on la guerre, matelot ? Où as-tu été fait prisonnier ?
— A Trafalgar, mon capitaine, sur l’ Algésiras.
— Trafalgar ? Ça fait plus de sept ans ! Tu as pris ton temps pour t’évader ! Comment t’appelles-tu ?
— Bernard Hazembat, mon capitaine, matelot de lère classe, timonier breveté.
— Et d’où es-tu ?
— De Langon, mon capitaine. J’étais batelier sur la Garonne.
Hazembat distinguait maintenant autour du capitaine deux soldats armés qui tenaient leurs fusils braqués sur lui. Plus loin, sur le chemin, d’autres soldats rassemblaient les paysans en fuite et vidaient leurs baluchons.
— Caporal ! aboya le capitaine. Trouvez-moi le chasseur Lartigau. Je crois qu’il est de par là.
Le soldat qui se présenta quelques instants plus tard était brun de poil et de peau. Hazembat ne l’avait jamais vu .
— Cet homme dit qu’il est de Langon. Tu es du coin, je crois ?
— De Saint-Macaire, mon capitaine.
— Fais-le parler.
L’homme se tourna vers Hazembat.
— Alavetz, qu’es de Langon, tu ?
— Vertat : jo que soi lo hilh de Hazembat, lo marinier.
— Hazembat ? Comment s’appelle son courau ?
— L’Aurore.
— J’ai entendu parler de toi. On disait que tu étais mort.
— J’ai été laissé pour mort.
— Tu avais une fiancée ?
— Oui, Marie Dubernet, la cadette, celle qu’on dit Pouriquète. J’ai entendu dire qu’elle s’était mariée avec Jantet, le fils Rapin.
Malgré sa douleur au crâne, cela lui faisait mal rien que de le dire.
— Il a bien l’air d’être celui qu’il prétend, mon Capitaine, dit Lartigau. J’ai entendu parler de sa famille. En tout cas, ajouta-t-il non sans une certaine nuance de mépris, il a l’accent de Langon.
— Emmène-le avec toi dans ton escouade et tiens-le à l’œil. Je verrai ce que je fais de lui quand il sera requinqué.
Il fut accueilli sans hostilité par les camarades de Lartigau, presque tous de jeunes recrues. Lartigau lui-même, qui avait à peine vingt-cinq ans, faisait figure de vieux briscard. Il avait été à des batailles qui portaient les noms de Iéna, Eylau, Friedland et n’avait pas quitté l’Espagne depuis 1808.
— C’est un putain de pays, expliqua-t-il. D’abord, on y claque du bec, ensuite il y a des couteaux pour t’égorger dans toutes les mains, y compris celles des enfants. C’est un peuple d’assassins. Les seuls bons Espagnols sont les Espagnols morts.
Hazembat songea soudain à ses compagnons de route.
— Il y avait des soldats espagnols dans le bois. Qu’est-ce qu’ils sont devenus ?
— Ils nous ont tiré dessus et puis ils se sont carapatés quand nous avons donné l’assaut. Ils ont laissé un mort et nous avons fait deux prisonniers.
— Où sont-ils ?
De la tête, Lartigau montra un arbre où se balançait une forme revêtue de blanc grisâtre.
— Il y en a un là. L’autre est un espion anglais. Le capitaine Leclerc l’interroge avant de le faire fusiller.
— Un espion anglais ?
— Il parle anglais, en tout cas.
D’un bond, Hazembat se leva, éveillant une douleur lancinante dans sa tête.
— Où est le capitaine ? Il faut que je lui parle !
— Qu’est-ce que tu veux lui dire ?
— Ce n’est pas un Anglais, c’est un Américain !
— C’est tout comme !
Sans répondre, il se dirigea en titubant vers l’unique tente du bivouac, qu’il supposait être celle du capitaine. Le factionnaire l’arrêta, croisant la baïonnette. Furieux, il se regimba en jurant bruyamment. Le capitaine Leclerc parut à l’entrée de la tente.
— Qu’est-ce qu’il y a encore, matelot ?
— Le prisonnier, mon capitaine, il est américain !
— C’est ce que j’ai cru comprendre à son charabia :
Nathaniel Dickson, de Philadelphie. Mais il porte un uniforme anglais.
— Il a déserté, mon capitaine. Nous sommes partis ensemble !
— Et pourquoi a-t-il déserté ?
— Parce que les Etats-Unis sont en guerre avec l’Angleterre, mon capitaine.
— Tiens ! je l’avais entendu dire, mais je n’y croyais pas. Tu es sûr ?
— Oui, mon capitaine.
— Entre.
Nat se tenait debout entre deux soldats,
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