Le Prisonnier de Trafalgar
âgé des deux qui avait une grosse tête recuite de paysan.
— Somos marineros americanos, répondit Hazembat.
— Que faites-vous ici ?
— Notre bateau est là-bas sur la baie. Nous sommes venus nous ravitailler en eau pour continuer notre route.
— Il faut voir le sergent.
— Mais nous allons repartir !
— C’est le sergent qui décidera.
Il agitait son fusil de façon significative. Son collègue, qui venait de dénicher un poisson séché derrière une poutre, donna un coup de crosse dans les côtes d’Hazembat.
— Al sargento ! Correr !
Le détachement se composait d’une vingtaine d’hommes et le sergent paraissait l’officier le plus haut en grade. C’était un vétéran moustachu dont l’uniforme était plus complet et mieux tenu que celui de ses hommes. Il examina les prisonniers d’un œil perspicace, puis il s’épongea le front avec un mouchoir à carreaux sale et troué.
— Americanos, enfonces ? J’ai entendu dire à La Corogne que les Américains étaient en guerre contre les Anglais. C’est vrai ?
— C’est vrai, sergent.
— Mais pas contre nous autres, les Espagnols ?
— Non, sergent.
Il réfléchit longuement.
— C’est une situation difficile. Il faut que le colonel décide.
— Où est le colonel ?
Son geste fut vague : quelque part dans le sud.
— Avec le régiment, du côté de Lugo… ou plus loin.
— Mais notre bateau est ici. Il faut que nous rembarquions.
Le vieux sergent fit courir son regard sur Hazembat.
— Lui, il est peut-être américain, toi, j’en suis moins sûr. J’ai fait campagne dans les armées de l’Empereur et je sais reconnaître une tenue de marin français quand j’en vois une.
— Je vous assure, sergent… Levant la main, il l’interrompit.
— Je ne veux pas en savoir davantage, mais j’imagine que ni l’un ni l’autre ne seriez très contents si je vous faisais escorter jusque chez les Anglais, au Ferrol. Ce n’est pas loin. Vous pourriez y être ce soir et, demain matin, vous vous balanceriez au bout d’une corde.
De l’index, il frotta une cicatrice sur son menton râpeux.
— Si vous vous rembarquez, vous tomberez sur les Anglais. Ils viennent d’occuper Santander et Bilbao. D’autre part, si vous restez ici, vous y serez vite découverts et égorgés par les hommes de Don Miguel ou d’un autre chef de bande. Quant aux Français, il ne faut pas que vous comptiez sur eux. Ils ne se hasardent plus guère sur la côte. En ce moment, ils font mouvement pour chasser Wellington de Madrid et nous, nous sommes sous les ordres de Wellington… du moins nous y serons quand nous aurons retrouvé notre régiment. Croyez-moi, de gré ou de force, il vaut mieux que vous restiez avec nous.
Quand Hazembat eut traduit à Nat les propos du sergent, l’Américain demanda :
— Pourquoi nous épargne-t-il ? Il n’a aucune raison. A la question, le vieux sergent répondit par un sourire.
— Ecoute, mon garçon, ce n’est pas à des… Américains que j’apprendrai les vertus du régime constitutionnel et des droits de l’homme. Notre mission à nous, détachement de l’armée royale, c’est de proclamer partout la Constitution qu’ont votée les Cortes de Cadix. Nous ne tuons que si c’est nécessaire et, si nous aidons les Anglais à libérer notre pays des brigands français, ce n’est pas pour nous transformer en brigands nous-mêmes. Qui que vous voyez, le sergent Castaneda n’est pas en guerre contre vous.
— Pourquoi nous garde-t-il prisonniers, alors ? demanda Nat.
— Prisonniers ? pas du tout ! répondit le sergent. Je vous offre simplement d’être des compagnons de route.
— Nous sommes libres de choisir ? demanda Hazembat.
— Ecoutez, je vais proclamer la Constitution dans ce village et nous nous mettrons en route pour Ortigueira quand le soleil commencera à baisser. Vous pourrez nous accompagner et avoir une chance de survivre ou rester ici, mais morts, parce que je ne vous connais pas assez pour vous laisser derrière. Supposez que vous soyez les espions français en train de préparer un débarquement. Je ne le crois pas, mais, en guerre, on n’est jamais trop prudent.
Vers midi, le sergent Castaneda alla lire la proclamation des Cortes à la trentaine de femmes, de vieux et d’enfants qui composaient la population du village. Il la résuma
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