Le Prisonnier de Trafalgar
fourgon. Son épaule lui faisait très mal, mais il tenait mieux sur ses jambes.
Il faisait nuit noire, mais la lanterne ne s’était pas éteinte en tombant. C’était une simple cage d’osier dans laquelle était enroulé un bout de ficelle de chanvre enrobé de suif, qui servait de mèche. Il en profita pour explorer les abords et pour rechercher son sac qu’il avait lâché pour bondir sur le cavalier. Il le retrouva au bout de quelques instants. Le quignon de pain et le bout de saucisse qu’il y gardait y étaient encore et il restait un peu d’eau au fond de son bidon.
Restauré, il s’assit à côté du sac et réfléchit. Autant qu’il pût s’en souvenir, il devait être à une vingtaine de lieues de la côte et tout son instinct de marin lui criait de marcher dans cette direction. Mais la mer, c’était Santander, c’est-à-dire les Anglais. Il n’y avait guère de chance pour qu’on le reconnût, mais mieux valait marcher vers la France tout en évitant les troupes françaises. Cela devait faire une cinquantaine de lieues en terrain difficile, mais il avait tout le temps devant lui. Il s’en tiendrait aux sentiers de montagne. Le tout était de passer inaperçu. Il baragouinait suffisamment bien espagnol pour donner le change : on trouvait des réfugiés de toute la péninsule, parlant chacun son patois. Seul, son vêtement pourrait le trahir. Il alla regarder l’homme qu’il avait tué.
Les pillards ne l’avaient pas encore dépouillé. Il portait une culotte de velours sombre et de longs bas de laine. Le haut de son corps avait été couvert par une sorte de cape effilochée et un feutre à larges bords gisait, cabossé, près de sa tête. C’était un accoutrement qui pouvait passer n’importe où pour celui d’un paysan.
Grimaçant de douleur sous l’effort, Hazembat déshabilla le corps raidi et enfila la culotte. Il y avait une déchirure là où son sabre s’était enfoncé, mais le sang pouvait passer pour une tache quelconque. Le chapeau, un peu large, lui couvrait le haut du visage et ce n’était pas plus mal ainsi.
Il mit son sac sur son épaule droite, puis, après avoir éteint la lanterne, il s’orienta sur l’étoile polaire et prit le chemin du nord-est.
Les dix premiers jours furent les plus durs. Les sentiers qu’il empruntait changeaient sans cesse de direction et allaient se perdre dans l’herbe rase, souvent au pied d’amoncellements de rochers infranchissables.
Le pays était entièrement désert. Il évitait d’ailleurs les chemins qui semblaient mener vers des lieux habités. Une fois, mettant à profit les leçons de Nat, il prit un lièvre au collet et cela lui procura de la nourriture pendant quelque temps. Mais c’était l’eau qui lui manquait le plus. Il y eut un gros orage et il resta longtemps, lu bouche ouverte, à recueillir les gouttes comme il l’avait fait autrefois, lors de son pèlerinage entre Cedeira et Saint-Jacques-de-Compostelle.
Puis, après être resté deux jours sans boire, il décou vrit une mare au fond de laquelle croupissaient quelques flaques de boue. Il se désaltéra, la nausée à la gorge. Le surlendemain, il fut pris de fièvre et de vomissements. Il essaya encore de marcher, traînant ses jambes lourdes, une sueur glacée au front, et il finit par s’écrouler, les bras en croix, sous l’impitoyable soleil de Castille.
Il ouvrit les yeux dans une petite chambre blanche, étendu sur une paillasse. Un crucifix accroché au mur lui faisait face. Une femme entra, vêtue de noir. Elle le regarda et cria :
— José ! esta despierto !
Un homme apparut. Comme la femme, il devait avoir u ne quarantaine d’années. Il s’approcha d’Hazembat et l’examina.
— Je crois qu’il est tiré d’affaire. Comment te sens-tu, amigo ?
— Bien. Comment suis-je ici ?
— Si je ne t’avais pas trouvé par hasard dans la barranca de Teza, tu serais en train de nourrir les vautours. D’où viens-tu pour t’être égaré jusque-là ?
Hazembat s’était préparé à cette question. Malgré la confusion de ses idées, il donna la réponse qu’il avait prévue.
— Je viens de Galice. Je suis marin. J’étais prisonnier des Français.
— Un Gallego ? Cela s’entend à ton accent.
— Je vous remercie de m’avoir sauvé. Il y a longtemps ?
— Trois jours. Heureusement que Juanita connaît les herbes.
Maintenant il se souvenait,
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