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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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le fond et crut percevoir comme une crête sous la surface. Il avança, de l’eau jusqu’aux genoux, incapable de voir à plus d’une vingtaine de pieds. Deux fois, il s’enfonça jusqu’à la taille et une fois jusqu’au cou, croyant bien sa dernière heure venue quand ses pieds rencontrèrent un fond de vase mouvante. Et puis il réussit à trouver prise sur une vieille souche et se hissa sur la ligne de crête le long de laquelle il cheminait. La nuit tombait quand il parvint à une sorte de terre-plein sur lequel poussaient quelques saules rabougris. Il dormit contre un tronc, dans des odeurs de bois pourri et de vase.  
    Quand il reprit sa route, il était hors du marais. A perte de vue, s’étendait une plaine couverte d’herbes coupantes, poussant en touffes serrées. L’horizon se confondait avec le ciel en un ruissellement de pluie fine et glaciale. De loin en loin, un arbre isolé, noir et dépouillé de ses feuilles, rompait sinistrement la monotonie de l’immensité grise. Rien ne lui indiquait la direction qu’il suivait. Il se fiait à son instinct de marin pour essayer de tenir le cap nord-est.  
    Quand, à la lumière, il jugea qu’il était midi, il s’arrêta pour manger un quignon de pain. Sa gourde était presque vide, mais, rendu méfiant par son expérience d’Espagne, il hésitait à la remplir dans les flaques d’eau rougeâtre.  
    Dans l’après-midi, du coin de l’œil, il eut l’impression qu’un arbre avait bougé quelque part vers la droite. Il regarda dans cette direction et s’aperçut que ce qui avait pris pour un arbre était un homme monté sur de hautes échasses. Il agita la main en criant. L’autre se dirigea vers lui à enjambées de géant. Il portait une cape de laine grossière, munie d’un capuchon pointu. Derrière lui, Hazembat distinguait maintenant le grouillement confus du troupeau de moutons.  
    Il s’arrêta à quelques pieds et, appuyé sur sa longue canne à crosse recourbée, il considéra longuement Hazembat. Son visage était caché dans l’ombre du capuchon et l’on voyait seulement ses yeux briller.  
    —  Que vens ha’ci ? demanda-t-il enfin d’une voix rocailleuse.  
    L’accent du parler noir de la lande était étrange à l’oreille, mais Hazembat compris qu’il lui demandait ce qu’il venait faire là.  
    —  Que vau enta Bordeu.  
    — Bordeu ?…  
    C’était comme si on lui parlait de la lune.  
    — Si tu ne connais pas le chemin, reprit-il, tu vas te noyer dans une craste.  
    — Où est-ce, ici ? Du bout de sa canne, le berger montra sa droite.  
    — Par là, c’est Gourbera, plus loin, c’est Laluque. – Et après ? – Je ne sais pas. Il resta encore longuement silencieux, puis il dit : – Tu vas venir avec moi à la borde. Le père te dira ton chemin.  
    La borde était une construction basse, en boue séchée, avec un toit de chaume. Une moitié servait d’étable et de têt à porcs, l’autre moitié d’habitation. Le berger sauta des échasses et conduisit les moutons vers un enclos de brande.  
    — Je m’appelle Quilhet, dit-il en revenant. Et toi ? – Hazembat. Ils entrèrent dans la maison. Autour de la cheminée où charbonnaient des braises, la famille était assemblée, L’air sentait la fumée de tourbe, l’étable et la soupe rance. – Adiu, monde, dit Quilhet en ôtant sa cape.  
    Il était petit et maigre, plus jeune, sans doute, qu’il ne paraissait : vingt ans peut-être. Les autres étaient petits et maigres comme lui. Dans la pénombre, Hazembat distingua une demi-douzaine d’enfants et trois adultes.  
    — C’est Hazembat, pair, dit Quilhet. Je l’ai trouvé perdu dans la lande du côté de Criquetardit.  
    — Bienvenue, dit une voix cassée. Je vais faire un peu de lumière.  
    L’homme se pencha sur l’âtre, saisit un brandon, souffla dessus et l’approcha d’une sorte de torche fixée dans la cheminée par une pince de fer. Une flamme fuligineuse naquit, éclairant les visages d’une lueur rougeâtre et dansante. Le père de Quilhet ne devait pas être très vieux, mais il avait la peau fripée et terreuse du grand âge. Des deux femmes qui filaient devant lui, la quenouille sous le bras, Hazembat n’aurait pu dire laquelle était la fille et laquelle la mère. Le candelon, dans la cheminée, dégageait des vapeurs de résine qui piquaient les yeux et rappelaient à Hazembat les odeurs du calfatage sur les bords de la Garonne,

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