Le Prisonnier de Trafalgar
S’il se souvenait bien, de Roquefort à Langon, il y avait à peine pour trois jours de marche. Il prit congé de Micoulet et se mit en route.
Roquefort était apparemment désert. Toutes les portes étaient closes et tous les volets tirés. Dès sa sortie du village, il constata que la route avait été considérablement améliorée. L’ancien chemin, avec ses hautes ornières fangeuses et ses pièges à sable, était maintenant revêtu de pierraille. Les roues des fourgons et de l’artillerie y avaient laissé des traces profondes. La chaussée était jonchée de papiers, de caisses brisées, de fers tordus, de pansements souillés, de tous les débris qu’une troupe en mouvement sème derrière elle.
Décidé à rattraper les Français, Hazembat se mit en marche d’un bon pas. A Captieux, le soir, un aubergiste consentit à entrouvrir sa porte sous ses coups répétés et lui apprit que l’arrière-garde française n’avait plus qu’une douzaine d’heures d’avance sur lui. Prenant à peine le temps de dormir et de manger, il se dirigea vers Bazas où il arriva le 9 mars dans la soirée. Les Français étaient encore là au début de l’après-midi. Langon n’était plus qu’à trois lieues. Pourtant, il décida de prendre quelques heures de repos, moins par fatigue qu’à cause de l’appréhension qui montait en lui à mesure qu’il approchait de Langon.
Il faisait encore nuit quand il se mit en route. Il vit le jour se lever sur les brumes qui stagnaient dans les creux entre Mazères et Coimères. Les premières vignes émergèrent du brouillard et il sentit son cœur battre.
Un peu avant huit heures, il déboucha sur la place Maubec et resta saisi par le silence. La ville était comme morte. On aurait déjà dû voir les artisans ouvrir leurs échoppes, les paysans pousser leurs attelages de bœufs vers le marché. Les gens étaient là pourtant, car il vit un volet s’entrouvrir brièvement au premier étage d’une maison, à l’angle de la rue Maubec. Oui habitait là ? Il ne se souvenait plus. Tout était familier et tout était étranger. Il y avait presque dix ans qu’il avait vu la ville pour la dernière fois et plus de six qu’il en avait eu des nouvelles.
La gorge nouée, il contempla la place vide, hésitant sur ce qu’il allait faire. A ce moment, il entendit un bruit de galop derrière lui. Il se retourna et vit quatre cavaliers qui arrivaient à bride abattue par la route de Bazas. Leurs chevaux écumaient. C’étaient des hussards. A la forme des toques de fourrure, il reconnut le régiment de Hanovre dont il avait eu l’occasion de voir un détachement à Lisbonne.
Arrivés au milieu de la place, les éclaireurs cabrèrent leurs montures pour s’arrêter, se concertèrent un instant, puis se séparèrent. Au galop, l’un d’entre eux prit par les fossés du sud, deux enfilèrent la rue Maubec et le quatrième, longeant les Allées, piqua droit sur la Garonne.
D’abord frappé de stupeur, Hazembat suivit le chemin pris par le quatrième. Quelques minutes plus tard, il déboucha sur le port des Chais et s’arrêta, interdit. Il ne reconnaissait rien. Le port était maintenant bordé par un vaste quai de pierre sur lequel s’amoncelaient d’énormes tas de marchandises diverses : sacs de grains, matériel militaire, barriques. Là où se trouvait jadis la Maison du Péage, de grands hangars semblaient abriter plus de denrées qu’il n’en avait jamais vu, même sur le port de Bordeaux. Ce lieu paraissait avoir été le centre d’un trafic intense. C’était probablement un des dépôts qui alimentaient l’armée d’Espagne. Mais le plus étrange était qu’il n’y avait pas un bateau à quai.
La Garonne, elle, n’avait pas changé. Les grandes eaux approchant, elle coulait à ras bords, rapide et puissante comme autrefois. Sur la rive d’en face, Hazembat distingua une agitation confuse. Il s’approcha pour mieux voir. Un léger nuage de fumée s’éleva des aubiers, de l’autre côté de la rivière, puis, une seconde plus tard, il entendit une détonation sèche. Une balle ricocha dans l’eau, à mi-courant. Les Français devaient s’être retranchés sur la rive de Saint-Macaire et c’étaient probablement eux qui avaient emmené les bateaux pour traverser.
Il laissa courir son regard sur les quais déserts que longeait maintenant une chaussée de pierre unissant les différents ports les uns aux autres. Tout au
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