Le prix de l'hérésie
message », me
demanda-t-il d’une voix pleine d’appréhension.
Je le fixai, les yeux écarquillés.
« Votre message ?
— Oui, je vous ai laissé un message. L’avez-vous
reçu ?
— Eh bien… Oui, mais je n’avais pas compris qu’il
venait de vous. »
Je ne le quittais pas des yeux tant j’étais surpris. Si en
fin de compte la mystérieuse lettre venait de Florio, cela signifiait indubitablement
qu’il avait des informations à propos des meurtres. Mais pourquoi, alors, n’en
avait-il pas parlé aux autorités ? Je me souvins à cet instant que Thomas
Allen avait évoqué la présence d’un espion de la reine au sein du collège. Avec
son don pour les langues et ses contacts avec les membres les plus influents de
l’administration, Florio était tout à fait le genre d’homme que Walsingham
aurait été disposé à employer. Dans ce cas, peut-être avait-il peur de se
dévoiler et préférait-il pour le faire de pouvoir s’entretenir avec Sidney et
moi. J’attendais qu’il s’explique, mais il avait l’air perplexe.
« Oh, je croyais que ce serait clair, pour des raisons
évidentes. Je suis désolé s’il y a eu confusion.
— Enfin, Florio, m’exclamai-je, les trombes d’eau qui
se déversaient depuis les pentes de toit m’obligeant à parler plus fort,
pourquoi n’êtes-vous pas venu m’en parler en personne ? »
Il baissa les yeux, décontenancé.
« C’est une affaire délicate, docteur Bruno. Je pensais
qu’il valait mieux vous approcher de façon moins directe. Il faut savoir mettre
les formes.
— Il en est bien question ! Florio, deux hommes
sont morts et il y en aura peut-être d’autres ! »
Son étonnement initial céda bientôt la place à la peur.
« Mais, Bruno… qu’est-ce qui vous fait croire qu’il y
en aura d’autres ?
— Nous ne pouvons pas le savoir tant que nous ne
connaissons pas les liens entre ces deux victimes et le mobile de l’assassin,
n’êtes-vous pas d’accord ? Et je pense que vous savez quelque chose qui
pourrait éclairer toute cette affaire. Est-ce que je me trompe ? »
Je lus une incompréhension totale dans ses yeux mais, avant
qu’il ait eu le temps de répondre, la porte de la librairie s’ouvrit et Rowland
Jenkes apparut sur le seuil. Il nous observa avec le détachement amusé qui le
caractérisait.
« Buongiorno, signori », nous salua-t-il,
et je reconnus les inflexions communes aux gens instruits qui contrastaient
tellement avec son visage ravagé.
Il effectua une petite courbette qui me parut sarcastique.
« Pas un temps à rester dehors, maître Florio. Je vous
en prie, entrez avec votre ami. »
Il fit un pas de côté et nous invita par un grand geste
cérémonieux à pénétrer dans sa librairie. Florio me dévisagea encore un court
instant, puis il rabattit en arrière sa capuche dégoulinant d’eau et
s’engouffra à l’intérieur.
CHAPITRE 14
La boutique dans laquelle nous entrâmes était située en
contrebas de la rue, il fallut donc descendre trois petites marches couvertes de
jonc que nos vêtements trempés aspergèrent aussitôt. Avec son plafond bas et
ses poutres apparentes, l’endroit mettait tout de suite à l’aise. Comme Florio
et moi étions petits, nous pouvions nous tenir droit alors que Jenkes devait se
pencher pour ne pas se cogner la tête, une posture qui lui donnait un air
vaguement obséquieux. Malgré les deux paires de bougies fixées au mur derrière
un comptoir, face à l’entrée, la pièce était mal éclairée, d’autant que les
vitres encrassées qui encadraient la porte faisaient obstacle à la lumière au
lieu de la laisser passer. Néanmoins, la cire des chandelles était de bonne
qualité et ne dégageait pas, comme dans ma chambre à Lincoln College, la
puanteur infecte du suif bon marché. En réalité, je me sentais davantage chez
moi dans cette minuscule librairie que n’importe où ailleurs depuis mon arrivée
à Oxford, car il y régnait l’odeur des livres : un parfum agréable de cuir
neuf et de papier et un autre, renfermé, provenant du vieux vélin et de
l’encre, mélange entêtant qui provoqua en moi un accès de nostalgie pour le
scriptorium de San Domenico Maggiore où j’avais passé tant d’heures dans ma
jeunesse.
Des étagères en bois occupaient chaque côté de la boutique,
démontrant le savoir-faire du relieur : chacune était remplie du sol au
plafond de volumes reliés en cuir, rangés en fonction de
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