Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
Vom Netzwerk:
conditions.
    — Vous avez raison, bien sûr. Mais alors, comment se
fait-il que je ne l’aie pas contractée ?
    — Parce que vous avez la constitution d’un bœuf, dis-je
en posant les yeux sur la chair grumeleuse qui s’était formée là où il avait eu
autrefois des oreilles. Vous n’êtes pas plus un sorcier que moi, ou Florio.
    — Pas plus un sorcier que vous ? répéta Jenkes, et
il me dévisagea un instant avant d’éclater de rire de nouveau. J’aime beaucoup
votre ami, Signor Florio. C’est un vrai comédien. »
    Le malheureux Florio ne savait plus comment interpréter
l’antagonisme sous-jacent de l’échange qui se déroulait entre Jenkes et moi, et
son regard passait nerveusement de l’un à l’autre.
    « Avez-vous mon Montaigne, maître Jenkes ?
demanda-t-il timidement. Je l’espère, car c’est pour lui que j’ai bravé ce
temps infect.
    — Infect, c’est le mot, confirma Jenkes en m’adressant
un sourire énigmatique. Deux volumes sont arrivés avec un chargement en fin de
semaine dernière, mon cher Florio, et, malgré ce temps apocalyptique, ils ont
pu être acheminés depuis Plymouth samedi. Qu’on ne dise jamais que j’ai déçu
ceux qui placent leur espoir entre mes mains. Si vous permettez, je vais les
chercher. »
    Il s’inclina sèchement et, penchant toujours la tête,
disparut dans l’atelier du fond.
    Florio se tourna vers moi.
     
    « Puis-je vous implorer de me jurer le secret,
Bruno ? » murmura-t-il à mon intention en posant son bras sur ma
main.
    J’acquiesçai, le cœur battant, pensant qu’il faisait encore
référence à notre conversation interrompue à propos de son message.
    « J’ai décidé d’entreprendre une tâche immense et
solennelle, qui engagera mon nom devant la postérité autant que celui du grand
génie humaniste que je sers… À vrai dire, c’est une œuvre qui dépasse de
beaucoup, tant s’en faut, tout ce que pourraient atteindre mes stupides
collections de proverbes. » Il serrait ma manche, les yeux brillants.
« Je vais apporter les Essais de Michel de Montaigne aux lecteurs
anglais !
    — Est-il au courant ? »
    Florio baissa les yeux, quelque peu refroidi.
    « J’ai écrit au grand homme pour lui proposer mes
humbles services de traducteur, mais pour l’heure je n’ai pas reçu son
autorisation, c’est vrai. J’ai demandé à maître Jenkes de commander les deux
éditions françaises pour moi de façon à envoyer un extrait de ma traduction à
M. de Montaigne, avec l’espoir d’obtenir son approbation. Mais comme
vous vous en doutez, ce sera un travail d’amour qui occupera tout mon temps
pendant un long moment et qui coûtera fort cher. Vous comprenez donc pourquoi
je vous ai écrit comme je l’ai fait…
    — Quel que soit le livre que vous désirez, et d’où
qu’il provienne, demandez à Rowland Jenkes, et si je ne peux pas le trouver,
c’est qu’il n’existe pas », annonça Jenkes en émergeant de l’ombre tel un
marchand ambulant, un volume relié de cuir brun dans chaque main.
    Il me jeta un regard de conspirateur.
    « Quel que soit le livre, docteur Bruno, et à son juste
prix. »
    Ses yeux descendirent sur mon pourpoint, à l’endroit précis
où se trouvait la bourse de Walsingham. Je ne réagis pas à sa provocation, mais
je me sentais vulnérable. Il en savait plus sur moi que je ne l’aurais supposé
et je me demandai s’il tenait ses informations de Bernard.
    Il tendit les ouvrages à Florio, qui en prit un dans chaque
main et les couva du regard avec autant d’amour que s’il s’agissait de jumeaux
nouveau-nés.
    « Ainsi, vous importez beaucoup de livres des
Provinces-Unies ? demandai-je d’un air détaché.
    — De France, des Provinces-Unies. D’Espagne et
d’Italie, parfois, quand il y a de la demande. Ils sont nombreux à Oxford à
aimer le genre de textes qu’on ne peut trouver qu’à l’étranger. Et de temps à
autre se présente l’occasion de vendre aussi dans l’autre sens. »
    Il continuait à m’examiner d’un air mi-entendu mi-moqueur,
comme s’il me jaugeait pour un emploi.
    « Mais j’imagine que vous en avez déjà entendu parler,
Bruno. Et peut-être cela explique-t-il pourquoi vous m’avez suivi ? »
    Je m’abstins de répondre. Florio se dandinait d’un pied sur
l’autre, le visage fermé, sur le point de fondre en larmes.
    « Qu’y a-t-il, mon cher Florio ? lui demanda
Jenkes.
    — C’est-à-dire… Je ne

Weitere Kostenlose Bücher