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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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voire pire, dans ce pays. Dans ce cas, je peux
toujours trouver un moyen de le vendre à l’étranger. Mais à vrai dire, je ne
manque pas de clients dans l’Oxfordshire et à Londres. Des hommes comme vous,
qui n’acceptent pas que des livres soient interdits, qui pensent que Dieu nous
a donné la raison et le jugement pour que nous les exercions sur ce que nous
lisons, et qui sont prêts à courir des risques pour accéder à la
connaissance. » Avec un petit rire, il se tourna vers Bernard. « Vous
aviez raison, William. Le docteur Bernard m’a dit que vous vous intéressiez
particulièrement aux livres rares. Notamment ceux qu’on croit perdus. »
    Installé près du feu, Bernard demeurait parfaitement
immobile, esquissant de rares sourires pincés. C’était lui, le bibliothécaire
de Lincoln College à l’époque où les autorités, comme mon abbé à San Domenico,
essayaient de bannir tous les textes hérétiques susceptibles d’impressionner
les jeunes gens.
    « Je sens que vous voulez demander quelque chose,
docteur Bruno… dit Jenkes en penchant la tête de côté.
    — Les livres expurgés des bibliothèques du collège
sont-ils passés par votre boutique ?
    — La plupart, oui. Les bibliothécaires les plus zélés
brûlaient les ouvrages incriminés pour faire plaisir à l’Église d’Angleterre,
mais ceux qui avaient une plus haute conception de la valeur des livres me les
ont apportés pour que je les redistribue. »
    Je guettai une réaction de la part de Bernard, mais il ne
cilla pas.
    « Et les livres de Lincoln College aussi, vous les avez
récupérés ?
    — Je me souviens de tous les livres qui sont passés
entre mes mains, docteur Bruno. Vous avez l’air sceptique, mais je vous assure
que ce n’est pas de la forfanterie de ma part. Quand vous m’avez entendu
affirmer au Signor Florio que je peux lui procurer n’importe quel livre au
juste prix, c’était également la vérité. »
    Il lorgna à nouveau sur ma bourse et cette fois, par
instinct, comme si j’étais nu et que je cachais mes parties, je la couvris de
ma main.
    « Alors, dites-moi, avez-vous un livre précis en
tête ? »
    Il jouait avec moi, et ses allusions répétées à l’argent que
je portais sur moi me mirent subitement mal à l’aise. Je me maudissais d’avoir
été si peu discret avec la bourse de Walsingham au collège. Et voilà que je
l’avais laissé m’enfermer dans sa boutique. S’il avait l’intention de me voler,
je n’aurais guère d’autre choix que de me battre. Je jetai un coup d’œil à
l’établi à côté de moi pour vérifier la présence d’une arme potentielle, au cas
où le besoin s’en ferait sentir. Ce diable de Jenkes lisait dans mes
pensées : au même moment, il tendit le bras et s’empara d’une lame à
manche d’argent dont il se servit pour se curer distraitement les ongles.
    « N’ayez pas peur de parler ici, Bruno. Quel que soit
le titre que vous voulez, et si dangereuses que soient les autorités civiles à
braver, ou même l’Église, n’importe quelle Église. Vous ne pouvez pas me
choquer.
    — Vous ne croyez pas à l’idée d’hérésie, alors ?
demandai-je sans quitter des yeux le couteau qu’il manipulait.
    — Oh, vous vous méprenez ! dit-il en faisant un
pas vers moi de façon si soudaine que je reculai involontairement. J’y crois
sans discussion. Il y a la vérité absolue, et tout le reste est hérésie. Il y a
la véritable Église, voulue par le Fils de Dieu et bâtie par l’apôtre Pierre,
et il y a l’abomination blasphématoire fondée par un fornicateur impotent et
gras, incapable de garder sa queue dans ses braies, et dirigée aujourd’hui par
sa bâtarde hérétique. Je ne crois pas qu’on devrait interdire un livre à un
homme qui possède assez de sagesse pour le comprendre, docteur Bruno, mais ça
ne veut pas dire que j’ignore où se trouve la vérité. Reste une question :
et vous ?
    — Je ne vois pas ce que vous voulez dire, répondis-je,
tendu comme un arc.
    — Je pense que si. »
    Il parlait d’une voix légère, agréable, mais avait profité
de sa tirade pour se poster devant la porte de la boutique. Malgré mes
vêtements humides et le froid qui régnait, je sentis la sueur perler sous mes
aisselles. Je cherchai du soutien du côté de Bernard, mais celui-ci m’observait
avec indifférence, toujours calé près du feu, comme s’il n’avait aucun rôle à
jouer dans la scène qui se

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