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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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moi.
    « Cette exécution est ton triomphe, Bruno. Walsingham
est très content de toi.
    — Mon triomphe… » murmurai-je.
    Une grande clameur s’éleva soudain de la foule et tout le
monde se hissa sur la pointe des pieds pour mieux voir. Il faisait presque jour
lorsque deux chevaux noirs apparurent entre l’échafaud et les premiers rangs.
Des femmes se précipitèrent pour lancer devant les chevaux des roses et des
lys, les fleurs du martyre, pendant que les gardes repoussaient de leurs armes
ceux qui s’approchaient trop et gênaient la progression. La foule recula
solennellement, d’un commun accord eût-on dit, et le murmure des conversations
prit fin. J’entendais même le choc sourd des sabots sur la terre et le
raclement de la claie qui creusait des ornières dans le sol détrempé. Je me
levai sur mes étriers et me penchai en avant, l’estomac noué.
    À la claie était attaché Jerome Gilbert, les pieds en l’air,
les bras croisés sur la poitrine et la tête pratiquement au niveau du sol,
maculée de boue. Lorsque la claie arriva à hauteur de l’échafaud, deux hommes
s’avancèrent pour le détacher et il glissa par terre comme une poupée de
chiffon. Les hommes l’attrapèrent sous les bras et le hissèrent sur le chariot.
On le déshabilla alors pour ne lui laisser que ses braies, mais auparavant il
prit un mouchoir et essuya son visage. En l’examinant plus attentivement, je
m’aperçus que son œil gauche était si enflé qu’il ne pouvait plus l’ouvrir. De
son œil valide, il scruta la foule alentour avant de jeter son mouchoir en
direction d’un homme aux cheveux grisonnants et au visage lugubre placé tout
près.
    « Regarde celui-là, me murmura Sidney. Probablement
encore un jésuite venu le soutenir dans ses derniers instants. Gilbert n’a pas
fait cela au hasard.
    — Devons-nous le suivre ? » demandai-je avec
inquiétude.
    Sidney me fit signe que non.
    « Walsingham a des hommes dans la foule pour suivre
tous ceux qui se montreront un peu trop empressés de ramasser ces
reliques. »
    Il se tut brusquement. Jerome était maintenu pendant que le
bourreau montait dans le chariot, lui passait la corde au cou et la fixait à la
potence. Tout à coup, je me rendis compte que si les deux hommes soutenaient
toujours le prêtre, c’était parce que ses jambes ne le portaient plus. Il avait
été si sévèrement torturé qu’il n’était plus qu’une loque.
    « Que lui ont-ils fait aux mains ? demandai-je à
Sidney en voyant les doigts enflés et pleins de sang séché avec lesquels il
essayait péniblement de ramener ses cheveux en arrière.
    — Ils lui ont arraché les ongles. »
    Mon ami n’en semblait pas affecté outre mesure.
    Un homme corpulent arborant les couleurs royales monta sur
l’échafaud et déroula un parchemin.
    « Jerome Gilbert, jésuite, déclama-t-il d’une voix
puissante face à la foule silencieuse. Vous avez été jugé coupable de quatre
meurtres, ainsi que d’avoir détourné des sujets de Sa Majesté de leur
allégeance, comploté l’assassinat de la reine à Reims et à Rome et dissimulé
des projets d’invasion étrangère. Qu’avez-vous à répondre ? »
    Avec une volonté surhumaine, Jerome rassembla les dernières
forces de son corps dévasté et, levant la tête, répliqua d’une voix étonnamment
claire : « Je ne suis coupable que d’avoir voulu ramener des âmes
égarées vers leur Créateur. Je prie Dieu pour qu’il pardonne à tous ceux qui
sont complices de ma mort. Vive la reine. »
    Soudain, en balayant des yeux l’assistance, il m’aperçut.
Nous échangeâmes un long regard, puis il ajouta par-dessus le tumulte :
« Un jour, vous serez à ma place. »
    Pensant qu’il menaçait ouvertement l’Église anglicane,
l’homme chargé de lire la sentence lui ordonna de se taire. Quant à moi, je fus
traversé d’un frisson de terreur : je me persuadai qu’il s’adressait
directement à moi. Je me rappelai ce qu’il m’avait dit à Hazeley Court :
« Vous et moi, nous sommes semblables… Vous allez à la mort sans courber
l’échine, un exemple que je suivrai l’heure venue. » Il avait au moins eu
raison pour lui-même, me dis-je : bien que sa beauté eût été ravagée par
les bourreaux et qu’il fût incapable de se tenir debout sans aide, il restait
magnifique jusqu’au bout.
    L’homme le regardait avec dégoût tandis que la foule
assemblée retenait son souffle.
    « Pour un homme

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