Le prix de l'hérésie
lui ?
— Peut-être pensait-il rencontrer quelqu’un à qui il
devait de l’argent ?
— Et sachant qu’il serait là, cette personne aura lâché
le chien sur lui ! supposa le recteur. Une vengeance à cause d’une
mauvaise dette, il n’y a pas d’autre explication. »
Je secouai la tête négativement.
« Non, sinon pourquoi l’argent serait-il encore
là ? Si c’était une dette qui l’avait entraîné dans la mort, on se serait
d’abord assuré de prendre la bourse.
— Mais qui aurait pu en vouloir à Roger ?
s’interrogea le recteur, au désespoir.
— Je ne saurais le dire. Mais un chien affamé n’entre
pas dans l’enceinte d’un jardin verrouillé de tous côtés par hasard. »
Je brossai mes vêtements du plat de la main car je venais de
me rendre compte que le sang de Mercer les avait tachés.
« Je suppose qu’avec ce qui se passe vous voudrez
annuler la disputation de ce soir ? »
La peur se lut de nouveau sur le visage du recteur.
« Non ! dit-il en s’appuyant contre moi. Elle doit
avoir lieu. Nous ne pouvons pas laisser cet incident perturber la visite d’un
invité de la reine. Imaginez-vous les conséquences, docteur Bruno ?
Surtout si la rumeur venait à circuler que c’est arrivé… de façon délibérée. Le collège ainsi que ma réputation en seraient entachés et nous avons déjà
eu notre lot d’histoires récemment. Je crains le déplaisir de Leicester plus
que je ne saurais vous le dire.
— Mais un homme a été tué brutalement, il s’agit
peut-être d’un meurtre ! m’indignai-je. Nous ne pouvons continuer nos
affaires comme si rien ne s’était passé !
— Chhhut ! Pour l’amour du Christ, ne prononcez
plus ce mot de meurtre, Bruno, dit le recteur en jetant des regards
alarmés dans le jardin et en baissant la voix, bien que nous fussions seuls.
Nous ferons annoncer qu’il s’agit d’un accident malheureux. Nous dirons… »
Il s’arrêta un instant pour élaborer son récit. « Oui, nous dirons que le
portail est resté ouvert, qu’un chien errant est entré et s’est attaqué à
Roger, qui s’était levé tôt pour prier et méditer dans le jardin.
— Le croira-t-on ?
— Oui, si j’affirme que c’est ainsi. Je suis le
recteur, après tout, dit Underhill en retrouvant un peu de sa morgue. En outre,
il faisait nuit et il y avait de la brume, personne n’a vu
distinctement. »
En cet instant, il y avait de la dureté sur ses traits, mais
aussi de la crainte. Je sentis qu’il était déterminé à préserver coûte que
coûte la réputation du collège, et j’imaginai que c’était cette résolution qui
lui avait dicté sa conduite lors du procès du pauvre Edmund Allen.
« Mais les verrous fermés… protestai-je.
— Vous et moi sommes les seuls à le savoir, docteur
Bruno. Je ne vois pas ce que nous gagnerions à le mentionner à présent, si vous
n’y voyez pas d’inconvénient.
— Et le gardien ? Ne se souviendra-t-il pas
d’avoir fermé les portes pour la nuit ? »
Le recteur eut un petit rire sec.
« Je vois que vous n’avez pas fait la connaissance de
notre gardien. La mémoire n’est pas son fort. Si je déclare qu’une porte est
restée ouverte, il ne prétendra certainement pas le contraire. Non, je crois
que nous devrions nous en tenir à cette version. » S’apercevant de mon
scepticisme, il chercha à me convaincre. « Ne pas faire part de nos
soupçons facilitera le travail d’investigation sur ce qui s’est réellement
passé ce matin. Alors qu’en faisant du remue-ménage et en donnant à penser que
Lincoln College a été le lieu d’un meurtre sauvage, son auteur, si auteur il y
a, s’enfuira en profitant du tumulte. Pour servir au mieux la justice, nous
avons intérêt à ne pas crier cette tragédie sur les toits. Je vous serais
grandement reconnaissant de m’aider sur ce point, docteur Bruno. »
Je ne savais pas trop de quoi il parlait : de la
découverte de la vérité ou de sa dissimulation ? J’étais profondément
ébranlé par l’idée que j’étais peut-être bien la dernière personne à avoir vu
Mercer en vie, et que celui qui avait mis à exécution ce plan diabolique se
trouvait en ce moment en liberté quelque part à Oxford, jubilant peut-être de
son succès. La froide efficacité du recteur me choquait, elle aussi. La
réaction humaine à la mort atroce de son collègue semblait étouffée par la peur
qu’il éprouvait pour son
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