Le prix de l'hérésie
nom.
La veille, Mercer avait parlé de lui exactement en ces termes. Hébété, je m’accroupis
auprès du corps, observant les mains ravagées, dont deux doigts avaient été
pratiquement arrachés dans les tentatives de Mercer pour repousser l’animal. Il
avait été traîné sur le sol : ses jambes, ses chevilles et son ventre
étaient épouvantablement lacérés.
Le recteur s’approcha avec précaution, un mouchoir sur la
bouche.
« Est-il…
— Nous sommes arrivés trop tard. Que Dieu ait pitié de
son âme », dis-je, par réflexe plus que par piété.
Le recteur s’avança et identifia aussitôt l’homme qui avait
dîné à sa droite la veille encore, ce qui le rendit immédiatement malade. Le
jeune Gabriel semblait s’être repris et il tâtait le cadavre du chien du bout
du pied.
« Une bête gigantesque », fit-il remarquer avec
une pointe de fierté, comme s’il exhibait un trophée de chasse.
À y regarder de plus près, cela me frappa : c’était
bien l’image la plus appropriée.
« C’est un chien de chasse. Et regardez ici, dis-je en
montrant les côtes qui saillaient sous le pelage gris sec. Regardez comme il est
maigre, on dirait qu’il était affamé. Observez ses pattes, aussi. »
La chair était à nu en haut de la patte arrière gauche, une
attache lui avait frotté la peau à cet endroit. Près de la plaie, le poil était
clairsemé et arraché, comme si la bête avait à plusieurs reprises essayé de se
libérer avec ses crocs.
« Je crois qu’il a été enchaîné. Vous voyez ? Pas
étonnant qu’il soit devenu complètement fou.
— Mais que faisait-il dans le jardin ? demanda le
jeune homme en se tournant vers moi. Et pourquoi le docteur Mercer se
trouve-t-il ici avec un chien ?
— Peut-être le promenait-il quand celui-ci s’est
retourné contre lui, proposai-je, peu convaincu par ma propre hypothèse. Les
animaux sont parfois imprévisibles.
— Mais Roger n’avait pas de chien, dit le recteur d’une
voix faible en s’essuyant la bouche avec son mouchoir. Je vous l’ai dit,
personne à part le gardien n’a le droit d’avoir un animal au collège. Non… Non,
messieurs, il n’y a rien à voir ici ! cria-t-il subitement en voyant des
élèves franchir en nombre la grille du jardin afin de profiter du spectacle.
Retournez dans vos chambres ! La chapelle à six heures, comme d’habitude.
Retournez dans vos chambres et préparez-vous ! »
Les étudiants repartirent à contrecœur en jetant des coups
d’œil par-dessus leur épaule et en échangeant nerveusement des messes basses.
Le recteur se tourna alors vers Gabriel Norris, qui contemplait toujours les
deux cadavres, le carquois pendu à l’épaule. Une expression d’incrédulité
envahit le visage du recteur, comme s’il découvrait le jeune homme pour la
première fois.
« Gabriel Norris ! explosa-t-il en levant la main.
Au nom de Dieu, qu’est-ce que vous portez là ? »
Norris baissa les yeux sur son pourpoint et ses braies, puis
il se tortilla d’une jambe sur l’autre, visiblement gêné.
« Je ne crois pas que ce soit le moment, recteur
Underhill, commença-t-il, mais celui-ci le coupa.
— Vous connaissez parfaitement bien l’édit du comte de
Leicester qui réglemente la tenue des étudiants ! Et mon rôle est de
l’appliquer. Voulez-vous donc que nous soyons sanctionnés par la cour du
chancelier, après tout ce qui s’est passé ? »
Son visage vira au pourpre et je ne pus m’empêcher de penser
qu’il exagérait, eu égard aux circonstances.
« Pas de fraises, pas de soie, pas de fentes dans les
pourpoints et les braies ! poursuivit-il d’une voix de plus en plus aiguë
au fur et à mesure de son énumération. Et pas d ’armes ! Vous avez
délibérément bafoué toutes les règles en la matière ! C’est un collège
universitaire, ici, maître Norris, pas un bal de la Cour où vous pouvez faire
étalage de votre fortune ! »
Le jeune homme se passa la langue sur les lèvres d’un air
revêche. Malgré sa contrariété, je voyais qu’il était exceptionnellement beau
et de toute évidence habitué à n’en faire qu’à sa tête.
« Ce collège ne pourrait pas vivre sans ma fortune,
comme vous le savez bien, recteur. Et d’ailleurs, vous faites payer trop
cher : je suis déjà forcé de manger comme un miséreux ici, dois-je aussi
m’habiller comme un pauvre ?
— Habillez-vous comme le comte de Leicester le juge
approprié
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