Le prix de l'indépendance
annoncerait plus tard que papa ne rentrerait pas cette nuit. Si elle en parlait comme si de rien n’était, peut-être ne réagiraient-ils même pas. Depuis leur retour, il ne s’était jamais absenté mais, quand ils vivaient à Fraser’s Ridge, il lui arrivait souvent de partir chasser pendant plusieurs jours avec Jamie ou Ian. Mandy ne s’en souviendrait pas mais Jem…
Elle se dirigea vers son bureau puis, à mi-chemin, bifurqua vers la porte ouverte de celui de Roger. C’était l’ancien cabinet du laird, la salle de consultation du domaine, la pièce depuis laquelle son oncle Ian avait dirigé les affaires de Lallybroch durant des années, et son père pendant une brève période avant lui, et son grand-père avant lui.
A présent, c’était l’antre de Roger. Elle avait préféré le petit salon de l’autre côté du couloir, avec sa fenêtre ensoleillée et l’ombre du rosier grimpant parfumé qui embellissait tout ce flanc de la demeure par ses couleurs. En outre, elle trouvait que c’était une pièce masculine avec son vieux parquet éraflé et sa bibliothèque joliment délabrée.
Roger avait déniché un des anciens registres de Lallybroch, datant de 1776. Il se trouvait sur l’étagère supérieure, sa reliure en tissu élimé abritant les détails minutieusement consignés de la vie quotidienne dans une ferme des Highlands. Un quart de livre de graines de sapin argenté ; un bouc ; six lapins ; trente onces de pommes de terre de semence… Etait-ce l’écriture de son oncle ?
Elle se demanda avec un léger pincement au cœur si ses parents avaient réussi à revenir en Ecosse, ici même à Lallybroch. Avaient-ils revu Jenny et Ian ? Son père s’était-il assis (s’assiérait-il ?) dans cette pièce, à nouveau chez lui, discutantdes affaires du domaine avec Ian ? Et sa mère ? Claire ne s’était pas séparée de Jenny en très bons termes et, du peu qu’elle lui en avait dit, Brianna savait qu’elle en était attristée. Elles avaient été très proches autrefois. Peut-être parviendraient-elles à se raccommoder… ou s’étaient-elles raccommodées.
Elle lança un regard vers le coffret en bois placé en haut de la bibliothèque près du registre, derrière le petit serpent en cerisier. Elle descendit ce dernier, caressa la courbe lisse de son corps. Il avait une expression comique, regardant par-dessus son épaule inexistante. Elle sourit malgré elle.
— Merci, oncle Willie, murmura-t-elle.
Elle sentit un frisson extraordinaire la parcourir. Ce n’était pas la peur, ni le froid, mais une sorte de joie tranquille. Une reconnaissance.
Elle avait manipulé ce serpent tant de fois à Fraser’s Ridge, puis ici où il avait été sculpté, sans jamais penser à son créateur, le frère aîné de son père, mort à l’âge de onze ans. Quand elle était venue à Lallybroch la première fois, au XVIII e siècle, il y avait un portrait de lui sur le palier du premier étage. Un garçonnet roux et robuste, debout avec une main posée sur l’épaule de son petit frère, le regard bleu et grave.
Où était passé ce portrait ? Ainsi que tous les autres tableaux de sa grand-mère ? Il y en avait un, un autoportrait, qui s’était frayé un chemin jusqu’à la National Portrait Gallery de Londres. Il faudrait qu’elle emmène les enfants le voir quand ils seraient plus grands. Mais les autres ? Elle se souvenait d’une très jeune Jenny Murray nourrissant un faisan apprivoisé aux grands yeux doux et marron comme ceux de son oncle Ian.
Ils avaient fait le bon choix en décidant de s’installer ici avec les enfants. Peu importait si trouver leur place leur demandait du temps, à elle et à Roger. Elle grimaça : peut-être ferait-elle mieux de ne pas parler pour Roger.
Elle leva à nouveau les yeux vers le coffret. Elle aurait aimé que ses parents soient là pour leur demander conseil. Non pas qu’elle en eût vraiment besoin… Pour être honnête, elle voulait surtout qu’on la rassure en lui disant qu’elle avait pris la bonne décision.
Elle saisit le coffret des deux mains et le descendit. Elle se sentait un peu coupable de ne pas vouloir partager la prochaine lettre avec Roger mais… elle avait besoin d’entendre sa mère. Elle prit la première de la pile portant l’écriture de Claire.
12 avril 1777
Bureau de L’Oignon , New Bern, Caroline du Nord
Ma chère Bree (et Roger, Jem et Mandy, bien sûr),
Nous sommes arrivés à New Bern sans incident
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