Le prix de l'indépendance
autres ? J’en vis deux sur le pont. Les autres devaient être à l’intérieur.
Derrière moi, le capitaine Roberts protestait toujours tandis que les marins du cotre montaient des tonneaux et des caisses sur le pont, réclamant une corde à leurs collègues pour les transborder sur leur navire. Stebbings passait les marins en revue, indiquant ses choix à quatre malabars qui le talonnaient. Quand un homme était désigné, ces derniers le sortaient sans ménagement du rang et le ligotaient avec une corde qui reliait ses poignets à ses chevilles. Trois marins avaient déjà été sélectionnés, dont John Smith, les traits blafards et tendus. Mon cœur se serra en le voyant mais il manqua de s’arrêter quand Stebbings arriva à hauteur de Ian. Ce dernier le dévisageait, impassible.
— Mmmouais… fit Stebbings. Tu m’as l’air d’un satané fils de pute mais on saura te mater. Emmenez-le !
Ian serra les poings, mais les enrôleurs étaient armés et deux pistolets étaient pointés sur lui. Il avança d’un pas, avec un regard mauvais qui aurait donné à réfléchir à un homme plus sage. Mais j’avais déjà remarqué que le capitaine Stebbings n’avait rien d’un sage.
Stebbings choisit deux autres hommes puis s’arrêta devant Jamie, l’examinant de la tête aux pieds. Le visage de Jamie était parfaitement neutre et légèrement verdâtre. Le vent était fort et, le bateau étant en panne, le pont tanguait fortement.
L’un des enrôleurs exprima son approbation :
— En v’là un de bien costaud.
— Un peu âgé, répondit Stebbings, dubitatif. Et je n’aime pas beaucoup son air.
Jamie se redressa, bomba le torse, baissa les yeux vers Stebbings du haut de son long nez droit et déclara d’un ton affable :
— Je ne suis pas particulièrement séduit par le vôtre non plus. Si vos actes ne vous avaient pas déjà révélé comme étantun couard de la plus belle eau, j’aurais su rien qu’à votre petit faciès ridicule que vous n’étiez qu’un suceur de figues et un fat.
Le faciès ridicule de Stebbings se décomposa puis vira au rouge vif. Plusieurs de ses hommes ricanèrent dans son dos mais se ressaisirent dès qu’il fit volte-face.
— Emmenez-le ! aboya-t-il. Et veillez à le faire tomber plusieurs fois en chemin.
Il s’éloigna en se faufilant parmi le butin amassé sur le pont.
Je restai pétrifiée. Certes, Jamie ne pouvait pas les laisser emmener Ian mais il n’allait tout de même pas m’abandonner au beau milieu de l’océan Atlantique !
Même avec son coutelas caché dans la poche sous mes jupes et mon couteau dans son étui attaché autour de ma cuisse.
Le capitaine Roberts avait assisté au numéro de Jamie la bouche grande ouverte mais je n’aurais su dire si c’était d’admiration ou d’effroi. Il était petit, rondouillard et pas bâti pour une confrontation physique mais je le vis néanmoins serrer les dents, marcher vers Stebbings et l’attraper par la manche.
Pendant ce temps, les marins faisaient descendre leurs prisonniers sur le cotre.
Je n’eus pas le temps de réfléchir à une meilleure idée.
J’agrippai le bastingage et me laissai plus ou moins rouler par-dessus, mes jupes volant au vent. Je restai suspendue l’espace d’un instant terrifiant, sentant mes doigts glisser sur le bois mouillé, cherchant du bout des orteils l’échelle de corde que l’équipage du cotre avait balancée à bord. Un roulis me plaqua contre la coque. Je lâchai prise, tombai de quelques dizaines de centimètres et me rattrapai à l’échelle juste au-dessus du pont du cotre.
La corde avait brûlé la paume de ma main droite, laissant la chair à vif. Je n’avais pas le temps de m’en préoccuper, les hommes sur le cotre pouvaient m’apercevoir d’un instant à l’autre.
J’attendis que le prochain tangage rapproche le navire puis me laissai choir, atterrissant sur l’autre pont comme un sac de pierres. Une douleur vive parcourut mon genou droit et je meredressai en chancelant. D’un pas balancé, en rythme avec le roulis, je courus vers l’escalier.
— Hé, vous là-bas ! Qu’est-ce que vous faites ?
L’un des canonniers m’avait vue et me regardait d’un air indécis, ne sachant pas s’il devait me poursuivre ou rester auprès de son canon. Son compagnon, m’apercevant à son tour, lui hurla de demeurer à son poste.
Mon cœur battait si fort que je pouvais à peine respirer. Que faire ? Où aller ? Jamie et Ian avaient
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