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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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des manuels d’histoire.
    De son poste derrière la caisse, la marchande lui adressa un sourire engageant. D’habitude, cela suffisait à convaincre les rares visiteurs à lui confier, parfois à voix basse, les raisons de leur visite. Celui-là se contenta d’un « Bonjour, Madame », puis s’attarda devant un étal de robes. Comme les clientes s’avéraient peu nombreuses en ce vendredi après-midi, elle adressa un signe discret à l’une des vendeuses, lui montrant la caisse des yeux, puis s’approcha en replaçant son ruban à mesurer autour de son cou.
    â€” Monsieur, je peux vous aider?
    â€” … Je ne sais pas, commença l’autre.
    Puis après une pause, il prononça :
    â€” Oui, sans doute. J’aimerais acheter des robes à mes filles. Quelque chose qui leur fasse plaisir.
    â€” Des étrennes un peu tardives, à moins que vous ne vouliez lancer la tradition des cadeaux de la Saint-Jean, pour faire contrepoids à ceux de Noël. L’idée charmerait tous les vendeurs de la province.
    Le regard complice de la propriétaire ne reçut pas de réponse. Le silence fut trop long, à la limite du savoir-vivre. À la fin, l’homme consentit :
    â€” En quelque sorte, oui, il s’agit d’étrennes tardives. Les fêtes de fin d’année sont passées totalement inaperçues à la maison. J’aimerais me rattraper un peu, m’occuper d’elles.
    â€” Vous avez évoqué vos filles.
    â€” Oui, Amélie et Françoise.
    â€” Vous avez leurs mensurations?
    Si des pères attentionnés s’engageaient parfois dans ce genre d’emplettes, une femme prenait toujours la précaution d’inscrire tous les renseignements utiles sur une feuille de papier. Certains clients se présentaient même avec une page de la section « commandes postales » arrachée au catalogue Eaton, dont les espaces blancs se trouvaient soigneusement noircis.
    â€” … Non, je n’ai pas les mensurations. La plus grande, Françoise, a seize ans. Elle est à peu près grande comme cela…
    L’homme indiqua de la main la hauteur de son épaule. Marie ne put retenir un éclat de rire, puis elle expliqua :
    â€” Malheureusement, j’ai besoin d’informations plus précises. Si vous voulez, nous pouvons monter à l’étage. Vous téléphonerez à leur mère, qui connaît certainement de mémoire des renseignements aussi essentiels que les tours de poitrine et de taille de vos filles.
    L’homme la regarda un moment, bouche bée, alors que des larmes perlaient aux commissures de ses yeux. À la fin, il laissa échapper, la voix brisée :
    â€” Leur mère, ma femme, est décédée au début de l’automne dernier.
    Cet homme se donnerait bientôt en spectacle, au moment où deux clientes entraient justement dans le magasin. Sans hésiter, la marchande saisit son bras et prononça d’une voix ferme :
    â€” Venez avez moi.
    Des larmes coulaient déjà sur ses joues. Aussi l’inconnu se laissa-t-il entraîner au fond de la grande pièce. Marie ouvrit la porte du réduit où se trouvaient une petite table et quatre chaises.
    â€” Attendez-moi ici, je reviens très vite.
    Parmi les innovations des deux dernières années, la propriétaire gardait un petit réchaud dans un cagibi attenant. Les habituées du commerce, où les vendeuses au moment de leurs pauses, se voyaient offrir un peu de thé. Quelques minutes plus tard, elle revint avec deux tasses et posa l’une d’elle devant l’homme éploré.
    â€” Je m’excuse…, murmura-t-il. Cela n’arrive plus très souvent, mais dans les moments les plus inattendus…
    Il esquissa un mouvement de la main pour montrer son visage. Son mouchoir roulé en boule entre ses doigts, il effaçait ses larmes, s’essuyait le dessous du nez. La gêne de se montrer dans un tel état de faiblesse l’amena à rougir comme une jouvencelle.
    â€” C’est bien naturel. Votre épouse est décédée il y a quelques mois à peine.
    â€” Sept, bientôt huit.
    Cet homme devait connaître le nombre de mois, de jours et d’heures écoulés depuis ce moment. Marie attendit que son interlocuteur continue. Cela ne tarda pas.
    â€” La

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