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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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tellement. Seule une femme comprend vraiment…
    Plutôt que de continuer la phrase, il se tamponna à nouveau les yeux.
    â€” La seconde a quel âge?
    â€” Quatorze ans.
    â€” Revenez avec elles demain. Si vous acceptez d’y mettre quelques dollars, ce seront les plus charmantes jeunes filles du Bas-Saint-Laurent.
    Il marqua une hésitation, puis chuchota :
    â€” Les ursulines sont intraitables à propos des sorties.
    â€” Voyons, elles n’ont même pas le droit de vote. Devant un député, membre de l’équipe au pouvoir en plus, elles les libéreront certainement pendant deux heures, demain après-midi.
    Un sourire malicieux soulignait ces paroles. Les détenteurs du pouvoir politiques reculaient-ils devant des vierges acariâtres revêtues de costumes d’un autre âge?
    â€” Je verrai ce que je peux faire… Peut-être qu’en mettant une échelle contre la muraille, je les libérerai.
    L’homme se leva, à nouveau mal à l’aise. Marie l’accompagna et ouvrit la porte du réduit. Au moment de sortir, il prononça :
    â€” Je vous remercie beaucoup. Vous êtes gentille de m’avoir…
    Le rouge aux joues, il s’emmêla, ne sachant comment conclure un échange de ce genre.
    â€” Ce n’est rien. Je garde toujours des tasses de thé imbuvables pour les situations délicates.
    Au moment de s’approcher de la sortie, il continua :
    â€” Vous savez, tous ces pleurs… Je me sens terriblement ridicule, un peu idiot en fait.
    La marchande posa sa main droite sur la gauche du client. La peau nue, douce et tiède, surprit le visiteur.
    â€” Monsieur Dubuc, quelques qualificatifs me sont bien venus en tête en vous voyant pleurer sur la mort de votre épouse et la tristesse de vos filles. Croyez-moi, les mots « ridicule » et « idiot » ne figuraient pas dans la liste. En vérité, ils ne seraient dans la liste d’aucune femme, et d’aucun homme ayant juste un peu de cœur.
    Les larmes revinrent aux yeux du député. Il prit la main de la marchande dans les siennes et laissa échapper un « merci » ému avant de se sauver vers la porte. À deux pas, Thalie se débarrassait de son chapeau de paille et de sa veste, toute disposée à donner un coup de main en attendant l’heure du souper.
    â€” Qui était cet homme? questionna-t-elle, un sourire en coin.
    â€” Un client. Le député de Rivière-du-Loup.
    â€” Il n’a rien acheté.
    â€” Il reviendra demain avec ses filles.
    Thalie dépassait maintenant sa mère d’un bon pouce. Elle demeurait une femme de petite taille, mais cela ne la rendrait jamais moins désirable.
    â€” Les clients ont droit à notre petite salle de repos, à notre mauvais thé, et ils pleurent devant toi?
    Les yeux de l’adolescente, ou plutôt de la jeune femme, demeuraient rieurs. Si des jeunes gens venaient au magasin avec le seul espoir de lui conter fleurette, les plus âgés ne négligeaient pas d’adresser des œillades et des mots gentils à sa mère.
    â€” Ne dis pas de sottises, conclut Marie. Cet homme pleure sa femme, décédée de tuberculose l’automne dernier, et il a deux filles aujourd’hui aussi dévastées que tu l’as été à l’été 1914.
    Â«Â N’empêche, pensa Thalie en regagnant son poste parmi les rubans et les dentelles, exprimer des paroles de réconfort ne signifie pas l’absence d’intérêt. »
    * * *
    Le Club de la garnison, fondé en 1879, se dressait tout près de la porte Saint-Louis, dans la rue du même nom. Ses membres jouissaient de l’insigne privilège d’y recevoir des invités. Cela rassurait Édouard à demi seulement. Son meilleur habit de soirée paraissait terriblement civil au milieu de tous ces uniformes. Des regards peu amènes se posaient sur lui.
    â€” Je suppose qu’ils trouvent insupportable de voir un homme de mon âge, bien portant, habillé autrement qu’en kaki. Tous ces gens ne distribuent pas des plumes blanches; ils paraissent sur le point de me coller le dos au mur pour me fusiller.
    â€” N’exagère pas, tout de même, grommela Armand Lavergne en l’entraînant vers une table.
    Dans le bar aux boiseries sombres, la fumée des pipes, des cigares et

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