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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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infliger ce genre de traitement à ses contradicteurs ne répugnerait pas au politicien.
    * * *
    Mathieu tenait sa sœur par le bras, soucieux de l’empêcher de parler à quiconque, le temps d’arriver à leur fauteuil. Au moment de s’asseoir, il la gronda sévèrement.
    â€” Tu tiens absolument à amener cet homme à te frapper?
    â€” Tu as entendu ce bellâtre? « Vous vous intéressez à la politique militaire? »
    Elle s’efforça de prononcer les derniers mots sur le ton mielleux de Lavergne.
    â€” Quel imbécile! Je suppose qu’à ses yeux, les femmes devraient demeurer dans leur cuisine.
    â€” Tout de même, nous vivons du commerce. Te mettre tout le monde à dos me paraît imprudent.
    â€” Bah! De toute façon, la bourgeoise du grand chef nationaliste s’habille chez Simons ou chez Holt Renfrew. Un petit magasin canadien-français ne peut intéresser cette grande patriote.
    La salle de l’Auditorium de Québec se remplissait lentement. En d’autres circonstances, la venue du premier ministre dans la ville aurait attiré une foule de curieux mi-flattés de la grande visite, mi-amusés de sa présence dans une forteresse libérale imprenable. En ce 7 décembre 1916, les gens montraient une mine inquiète. Les détenteurs du pouvoir politique venaient sans doute apporter de mauvaises nouvelles.
    Avec un peu de retard, les rideaux de scène s’ouvrirent pour révéler un brillant aréopage d’hommes dans la force de l’âge pour certains, déjà blanchis pour les autres. Seul sur l’estrade, Robert Laird Borden aurait sans doute mérité quelques huées. Ses compagnons agissaient comme autant de « porte-respect ». Avec le premier ministre provincial, Lomer Gouin, le lieutenant-gouverneur, Évariste Leblanc, le juge en chef, François-Xavier Lemieux, et quelques élus de la région, il attira même des applaudissements polis, surtout de la part des anglophones présents.
    Selon les usages, une personne familière aux spectateurs devait souhaiter la bienvenue aux visiteurs venus de loin. Lomer Gouin quitta son siège pour s’approcher du lutrin, puis commença :
    â€” En ces heures dramatiques où la civilisation vacille sous les coups des hordes barbares venues de l’est…
    Pareille introduction présumait des connaissances géographiques des spectateurs. Après quelques phrases ronflantes, le petit homme à la voix ennuyeuse s’effaça devant Borden. Grand, robuste, une chevelure abondante séparée au milieu, une moustache touffue cachant sa lèvre supérieure, le politicien originaire de la Nouvelle-Écosse commença par dresser un sombre tableau :
    â€” Les nôtres ont montré leur bravoure à la face du monde depuis la résistance héroïque à Ypres jusqu’à, plus récemment, l’immense bataille de la Somme. Des enfants de votre ville ont donné leur vie sur l’autel de la liberté, à Courcelette. Les fils de Champlain, Maisonneuve, Frontenac se sont révélés dignes de leurs ancêtres…
    La prononciation des noms des membres du panthéon de la Nouvelle-France se révélait très laborieuse, au point de les rendre méconnaissables. La flatterie nationaliste perdit en conséquence beaucoup de son effet, même si la plupart des personnes présentes comprenaient l’anglais.
    â€” Toutefois, les pertes se sont révélées terribles. Nous manquons d’hommes pour remplacer ceux qui tombent…
    Chacun retenait son souffle. Partout en Europe, ce genre de constat précédait immédiatement l’annonce du recrutement forcé. Le premier ministre parut déterminé à lever le suspens.
    â€” Mon jeune collègue de l’Alberta, Richard Bennett, va vous expliquer en quoi consiste le Service national.
    Le vieux politicien regagna son siège pour être tout de suite remplacé à l’avant par un personnage plus jeune, à la silhouette un peu replète, les cheveux fuyant sur le crâne.
    â€” Les nations modernes jettent dans la bataille toutes leurs ressources, celles des fermes, des forêts, des ateliers, des manufactures, des usines. Les puissances qui sauront le mieux mobiliser leurs forces l’emporteront, les autres seront balayées. Le Service national servira

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