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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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famille…
    L’homme continua péniblement la nomenclature des travailleurs trop précieux, pour leur pays ou pour leurs proches, pour les voir un jour en uniforme. Les interruptions se multiplièrent, dont certaines savoureuses : « Hé! Les politiciens ne sont pas sur ta liste. Tu as raison, on pourrait s’en passer! Au front tous les planqués. » En guise de réponse, un autre hurla : « C’est vrai, ça! Les politiciens ne servent à rien! » Puis encore, une phrase reprise comme une mélopée : « À la guerre, les députés, au front les ministres! » L’effet d’ensemble témoignait d’une certaine planification.
    â€” Les gars des premiers rangs, dit Mathieu à l’oreille de sa sœur, sont tous des étudiants. J’ai reconnu parmi eux la moitié des membres de la Faculté de droit, en entrant.
    Jeunes célibataires, pour la plupart en santé, leur enthousiasme à conspuer les politiciens tenait à leur conviction de se trouver dans la mire des agents recruteurs. À la fin, les cris « Va t’enrôler! » couvrirent totalement la voix de l’orateur. Dans des lieux moins richement décorés, devant un aréopage moins noble, des œufs pourris ou des légumes auraient souligné ces paroles. Le plafond couvert d’appliques de plâtre, les ors et les colonnes en trompe-l’œil valaient une certaine retenue.
    Patenaude se retira finalement à son tour. Pendant un moment, les visiteurs conférèrent à voix basse. Robert Borden se leva pour aller échanger quelques mots avec Lomer Gouin. Le petit homme au physique ingrat, avec un tronc épousant la forme d’une barrique montée sur de petites jambes, secoua la tête de droite à gauche. Jamais il ne se mettrait la tête sur le billot pour défendre le Service national, une invention des politiciens conservateurs d’Ottawa. Quelqu’un en coulisse somma de fermer le rideau alors que les étudiants lançaient un nouveau mot d’ordre, repris par toutes les bouches.
    â€” À bas la conscription! À bas la conscription!
    Pendant un long moment, les gens demeurèrent sur leur siège, comme si une nouvelle déclaration risquait encore de les embraser. Puis, les occupants des dernières rangées se levèrent. La foule se répandit lentement sur le trottoir de la rue Saint-Jean et envahit bientôt la place du marché Montcalm, juste en face. Les slogans contre la conscription ne cessaient pas, des hommes en uniforme de police se tenaient prêts, alignés devant le mur du YMCA.
    â€” À moins de vouloir une nouvelle confrontation avec ton cousin, murmura Mathieu, nous ferions mieux de rentrer à la maison.
    â€” Ce prétentieux ne me fait pas peur, déclara-t-elle en tentant de se faire plus grande.
    â€” Depuis mes ennuis à l’Académie des frères des Écoles chrétiennes, je sais que tu ne crains personne. Cela ne signifie pas que tu rencontreras toujours des garçons soucieux de ne pas lever la main sur une fille. Par ailleurs, je ne tiens pas à casser d’autres nez pour te prouver que, de mon côté, je suis devenu apte à me défendre.
    Le rappel de cet événement malheureux rendit l’humeur de l’adolescente moins belliqueuse. Elle s’accrocha au bras de son frère pour pénétrer dans la ville murée. Très vite, les cris s’estompèrent. Au moment de pénétrer dans le magasin, plus rien ne rappelait l’agitation de l’Auditorium.
    * * *
    Thomas se sentait un peu fébrile, comme un collégien marchant vers son premier rendez-vous. Le train venait tout juste de pénétrer dans la gare. Des dizaines de personnes se pressaient sur le quai, un mur de poitrines s’alignait devant le wagon de première classe. Le marchand, tiré et poussé, arriva avec difficulté à se maintenir devant la porte. Celle-ci s’ouvrit sur un colosse au visage poupin décoré de lunettes et d’une moustache. Ernest Lapointe descendit en répétant :
    â€” Faites de la place, faites de la place.
    Il repoussa sans ménagement les jeunes gens, méritant quelques gros mots en guise de réponse. Il avait les deux mains sur la poitrine de Thomas quand il se rappela l’identité du quidam.
    â€” Monsieur Picard, content de

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