Le prix du sang
Québec et du Canada se trouveront sur place. Ce soir, lâAuditorium de Québec sera plus sécuritaire que notre appartement.
Si la mère sâinquiétait, elle parvenait à ne pas interdire. Même pas à sa fille, haute de cinq pieds et très peu de pouces et dépassant à peine les cent livres. La présence du grand frère à ses côtés, avec ses six pieds, suffirait à lui éviter les mauvais coups, espérait-elle. La situation avait bien changé depuis 1908, alors quâelle lui servait de protectrice.
â Soyez prudents, capitula-t-elle enfin.
â Promis, maman, déclara Thalie en lui faisant la bise.
Encore une fois, lâécolière se trouverait au milieu dâune assemblée dâhommes, lâune des rares représentantes de son sexe, pour entendre parler de la participation à la guerre. Quelques minutes suffirent pour rejoindre la grande salle accolée au mur dâenceinte, rue Saint-Jean. Une foule se pressait à lâentrée, des connaissances sâinterpellaient, sâinvitaient mutuellement à occuper des sièges contigus.
Un malencontreux hasard amena de nouveau Mathieu au coude à coude avec son cousin Ãdouard, inévitablement flanqué dâArmand Lavergne. Le premier réussit à ignorer ses parents, la tête droite, le cou allongé comme pour se donner un pouce de plus. Le second ne put résister au plaisir de saluer une jolie fille, même très jeune.
Il se pencha un peu pour lui demander :
â Vous vous intéressez à la politique militaire? Vous avez un amoureux et vous craignez la conscription?
Thalie déclara sans vergogne en le fixant dans les yeux :
â Je la crains moins que vous, il me semble. Curieux, tout de même, un lieutenant-colonel de la milice refuse de former un régiment. Votre jumeau du mouvement nationaliste, Olivar Asselin, a montré plus de loyauté pour lâancienne mère patrie.
â Je me suis expliqué dans les pages du Devoir , prononça Lavergne avec impatience.
Sans doute pour le faire mal paraître, les autorités fédérales avaient bien demandé à ce notable dâimiter son ancien allié et de recruter quelques centaines dâhommes à son tour. Le personnage avait peu après publié les motifs de son refus dans le journal nationaliste, qui allaient de la fermeture des écoles françaises en Ontario au devoir sacré de garder toutes les forces canadiennes au pays afin de défendre le territoire national.
â Je vous ai lu avec attention. Votre épître ressemblait beaucoup aux exercices dâécriture que nous demandaient les ursulines quand jâavais douze ans. Rien de très édifiant, une fois débarrassé des mauvais effets de style. Doit-on sâattendre à autre chose de plus consistant?
Lâhomme lui tourna le dos, offusqué, puis sâenfonça dans la foule en multipliant les « Excusez-moi » sans conviction. Quand il se trouva assez loin, il grommela à son compagnon :
â Tu connais cette petite garce?
â Ma charmante cousine. Tu te souviens, nous lâavons croisée en ce même endroit il y a presque un an, quand nous sommes venus entendre Asselin prononcer un discours ridicule sur la France et notre devoir de loyauté pour ce pays.
Depuis, fidèle à ses propos, le petit homme noir de poil se battait courageusement sur le sol français. Les journaux de toutes allégeances soulignaient la moindre de ses actions, certains avec des commentaires grinçants.
â La plume blanche⦠continua Ãdouard avec une grimace de dépit.
Le jeune homme, un soir où sa consommation de whisky laissait remonter sans pudeur les rancÅurs accumulées, sâétait confié à ce sujet.
â Pour qui se prend-elle? Son père ne lâa pas élevée?
Lâallusion à Alfred amena un sourire troublé sur le visage de son interlocuteur. Au fond, ne reproduisait-elle pas les déclarations abrasives de ce dernier?
â Elle fréquente le High School de Québec, offrit-il plutôt comme explication à son comportement. Cela doit lui monter à la tête.
â Pendant la révolution américaine, les traîtresses comme elle se trouvaient déshabillées, trempées dans le goudron et roulées dans les plumes.
à en juger par son expression,
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