Le prix du sang
montrer cette charmante jeune personne aux célibataires en âge de chercher une compagne, les visites dans le salon paternel ne sâétaient pas succédé au rythme prévu. Les rumeurs venues dâOttawa concernant lâenrôlement obligatoire paraissaient éloigner certains candidats des jouvencelles, tout en les rapprochant des personnes un peu plus vieilles. Peut-être les premières exigeaient-elles de plus longues fréquentations avant de se laisser conduire à lâautel, alors que les secondes se montraient vite disposées à le faire.
â Mais comme je me suis dévoué, il convient maintenant de mâexécuter. Ta charmante petite sÅur ne se trouve certainement pas ici pour discuter avec ces collégiennes.
Ãdouard profita du passage dâun serveur pour déposer son verre vide sur un plateau. Il se dirigea ensuite vers le trio féminin en replaçant une mèche de ses cheveux.
â Mesdemoiselles, commença-t-il en les englobant dans son regard, je suis désolé de vous interrompre.
Puis, les yeux fixés sur lâélue, il continua :
â Ãvelyne, me ferez-vous le plaisir de mâaccorder cette danse?
Les nouveaux mariés ayant eu le privilège de se produire les premiers, de nombreux couples envahissaient maintenant le parquet. Un peu rougissante, la jeune Paquet posa sa petite main dans celle, grande et forte, de son cavalier. Les deux autres la regardèrent sâéloigner avec envie, puis gloussèrent à nouveau avec un synchronisme parfait.
Le jeune homme sâarrêta à la périphérie de la piste de danse, posa une main sur la taille de sa partenaire et tint les doigts fins avec lâautre. Son regard, puis une légère inclinaison de la tête, indiquèrent le moment où sâélancer parmi les autres couples. Vue dâen haut, les corolles des robes ressemblaient à autant de rouages dâun mécanisme délicat.
Après une douzaine de rotations, Ãvelyne Paquet commençait tout juste à se trouver confortable dans cette situation nouvelle. Ce sentiment ne dura pas.
â Vous êtes particulièrement jolie aujourdâhui, Mademoiselle.
Les mots sâaccompagnèrent dâun regard plongeant sur la naissance des épaules découvertes et lâéchancrure du corsage. Le tout demeurait à la fois bien pudique et fort inspirant. La peau paraissait douce, presque translucide. Ãdouard voyait les veines, de petites rivières dâun bleu très pâle, sur la naissance de la poitrine.
â ⦠Je vous remercie.
Lâhésitation, le tremblement dans la voix, trahissaient une émotion délicieuse.
â De plus, cette robe vous va à ravir.
Elle ne pouvait répéter encore « merci » sans avoir lâair dâune sotte. Un battement de cils exprima son émotion. Ses cheveux châtains, relevés dans une construction complexe, dégageaient des oreilles petites et bien ourlées, un cou très fin. Les yeux gris, grands et limpides, montraient son plaisir trouble de se trouver ainsi entre les bras dâun bel homme.
La pièce musicale sâégrena trop vite au goût dâÃdouard. Il céda sa place à un interne un peu empâté. à titre dâami de la famille, il valsa avec lâépousée, la trouva tout à sa joie de régler son avenir au prix dâun « oui » prononcé devant monsieur le curé. Pendant ce temps, le jeune homme gardait un Åil sur la demoiselle. La grâce innocente de lâingénue le troublait plus que de raison. Une oiselle candide, un peu gauche, tout à fait charmante. Deux pièces musicales plus tard, il la retrouva.
â Vous venez tout juste de quitter le pensionnat, je crois.
La remarque sâavérait de pure forme : à titre de célibataire « éligible », Ãdouard se trouvait à la réception champêtre donnée plus de quatre mois plus tôt. Il se présentait avec une certaine régularité chez les Paquet afin de rencontrer le frère aîné, un partenaire régulier de tennis. Il prononçait simplement les mots convenus, souvent répétés au cours des dernières années, durant les rencontres entre jeunes gens de la Haute-Ville.
â ⦠Oui. Jâai terminé le cours dâétudes.
Autrement dit, la demoiselle
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