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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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conviction :
    â€” Et moi, je vous aime pour deux. En quelque sorte, cela rétablit l’équilibre en notre faveur, ne croyez-vous pas?
    La jeune femme aspira profondément et ferma les yeux un moment afin de ne plus voir ce gros niais. Très vite, son avenir lui passa dans l’esprit. Vieille fille, elle abandonnerait les robes aux couleurs vibrantes pour chercher les bruns et les gris. Le bleu foncé deviendrait un coup d’audace dans son univers monochrome. Combien la tenue d’un rouge vif, au décolleté profond, arborée lors du bal du gouverneur, lui semblait maintenant loin.
    â€” On ne construit pas un couple de cette façon.
    Avec les atours démodés viendraient les œuvres pieuses, la consultation inquiète de son confesseur au moindre émoi, les sociétés charitables.
    â€” Mais que savez-vous des couples? demanda Fernand.
    Bien sûr, que savait-elle de l’amour? Le spectacle quotidien de sa belle-mère et de son père, toujours aussi épris l’un de l’autre après dix-sept ans de mariage, lui paraissait aussi incompréhensible qu’au premier jour. Dans sa vie de vieille fille, le plus affreux serait de contempler encore ceux-là : leurs tête-à-tête dans la bibliothèque, lui un cognac à la main, elle un sherry, leur empressement à regagner leur chambre certains soirs, la main de l’homme sur sa hanche, les regards entendus.
    Le spectacle du bonheur d’Élisabeth la rendrait folle, tôt ou tard. Eugénie le savait très bien. De plus, cette femme se montrait invariablement gentille à son égard, pleine de compassion pour ses malheurs passés. Détester quelqu’un était une chose, mais voir la personne haïe multiplier les attentions délicates s’avérait insupportable. Il lui fallait quitter cette maison.
    â€” Vous avez raison, je ne connais rien aux rapports amoureux, admit-elle après un long silence embarrassé. Autrement…
    Inutile de préciser sa pensée : son statut de laissée-pour-compte témoignait éloquemment de son incompétence.
    â€” Alors, puis-je vous rendre visite à votre domicile?
    Fernand commençait à se sentir un peu ridicule. Bientôt, la basilique vomirait son millier de personnes dans les rues. Alors que les grandes portes du temple s’ouvraient et que les cloches commençaient à sonner de façon tonitruante, la jeune femme accepta finalement dans un souffle.
    â€” Oui, vous le pouvez.
    Ã€ cet instant précis, une étrange conviction se forma dans son âme : les obsèques d’Alfred seraient toujours un peu les siennes dans son souvenir. Si aucun homme ne se présentait d’ici là, dans un peu moins de quatre mois, le jour de ses vingt-cinq ans, elle coifferait Sainte-Catherine.
    Son compagnon allait dire quelque chose quand une voix tonitruante, un peu trop joyeuse pour le lieu et l’occasion, retentit derrière lui :
    â€” Fernand! J’aurais dû deviner que tu viendrais au secours de ma sœurette aux prises avec ses vapeurs. Comment vas-tu?
    Ã‰douard s’avançait, la main tendue, heureux. En secouant tout l’avant-bras de son ami avec sa poigne enthousiaste, il enchaîna :
    â€” On ne se voit presque plus. Nos conversations politiques me manquent. Pour renouer avec nos bonnes habitudes, je serais même prêt à t’entendre vanter les mérites des conservateurs de Robert Borden.
    â€” Je suppose que j’ai trop de contrats à rédiger…
    â€” Et moi, trop de marchandises à vendre. Nous devenons des adultes ennuyeux.
    Alors qu’il abandonnait la main de son vieux camarade de collège, Édouard se tourna vers sa sœur.
    â€” Comme tu ne revenais pas à l’intérieur, papa m’a demandé de courir à ton secours. Te portes-tu bien?
    â€” Oui, je vais bien. Sans doute mes vapeurs, comme tu dis.
    Pour donner le change, elle esquissa un demi-sourire. La pâleur de son teint amena le garçon à lui offrir son bras.
    â€” Le cortège se formait déjà à l’intérieur quand je suis sorti. Dans quelques minutes, nous serons bousculés par la foule. Viens avec moi chercher la voiture.
    Eugénie posa sa main droite sur l’avant-bras fraternel. Avant de quitter les lieux, celui-ci dit encore à Fernand :
    â€” Je suis sérieux, viens

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