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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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droite pour montrer ses cinq doigts.
    â€” Déjà cinq ans!
    Thomas fit un demi-tour sur lui-même, comme si la scène le mettait mal à l’aise, puis répliqua :
    â€” Élisabeth, les enfants vont nous attendre.
    Elle leva les yeux vers lui et accepta la main tendue pour l’aider à se relever. D’un signe de la tête, les Létourneau leur adressèrent un dernier salut, puis se dirigèrent vers la rue de la Fabrique. Le tramway de la rue Saint-Jean leur permettrait de regagner la Basse-Ville, et de là, le nouveau quartier de Limoilou qui se développait lentement au-delà de la rivière Saint-Charles.
    â€” Je trouve qu’il lui ressemble, commenta Élisabeth en fixant le garçonnet qui, pendue à la main maternelle, se retournait pour voir encore la jolie dame.
    â€” Ne répète jamais cela, grogna son époux. Elle pourrait t’entendre…
    â€” Mais voyons, nous sommes seuls…
    â€” Au milieu de dizaines de personnes!
    Des yeux, Thomas lui désigna tous les gens autour d’eux. Bien sûr, il avait raison. Dans ce petit monde où chacun se passionnait pour la vie de ses voisins, la moindre indiscrétion pouvait faire beaucoup de chemin. Un coup de klaxon tonitruant attira leur attention… et celle de tous les badauds.
    â€” Quelle arrivée discrète, commenta le père.
    Après des années de harcèlement de la part de son fils, le commerçant avait capitulé quelques semaines plus tôt : les chevaux dociles et fiables abandonnés sans vergogne, ses déplacements dépendaient maintenant d’une Buick de couleur noire. Toutefois, même si l’achat de ce joyau écorchait sérieusement son compte en banque, jamais Édouard ne lui en avait abandonné le volant.
    Le véhicule automobile se trouvait stationné dans la rue Buade, juste en face de la Librairie Garneau. Lorsque le couple monta à l’arrière, Eugénie, assise à l’avant avec son frère, se retourna à demi pour demander :
    â€” Je dois vraiment y aller?
    â€” … Voyons, il s’agit de la moindre des choses, répondit l’homme en maîtrisant mal son impatience. C’est le seul parent qu’il te restait, ou presque. Alfred t’a toujours témoigné beaucoup d’affection.
    La jeune femme afficha une moue boudeuse, mais rétorqua d’une voix soumise :
    â€” Bien sûr, tu as raison. C’est juste que moi, les cimetières…
    â€” Ce n’est pas tout à fait comme un bal, admit Édouard d’un ton railleur en lui adressant un regard en biais.
    Des bals, elle n’en avait connu que quelques-uns, en 1907 et 1908. Elle adressa à son frère un regard assassin et réussit à réprimer le mot « imbécile » qui lui brûlait les lèvres. Pendant cet échange, Élisabeth examinait sa belle-fille, cherchant sur ses traits le souvenir de ceux du garçonnet rencontré un moment plus tôt. En réalité, malgré le bleu des yeux et la pâleur des cheveux, aucune ressemblance ne sautait aux yeux.
    â€” Nous y allons? demanda Édouard, impatient de conduire cet extraordinaire véhicule dans les rues de Québec une fois de plus.
    â€” Comme nous faisons partie de la famille immédiate du défunt, nous suivrons le corbillard dans le respect des usages. Nous n’arriverons pas une demi-heure avant lui au cimetière, commenta Thomas.
    â€” Mais c’est une voiture hippomobile, clama le garçon en pointant un doigt en direction du parvis de la basilique.
    â€” C’est exactement pour cela que je trouvais prématuré d’acheter une voiture automobile, conclut l’homme d’une voix un peu chargée de regrets. Je ne vois pas l’intérêt de compter parmi le un pour cent d’originaux possédant l’une de ces machines nauséabondes. De toute façon, nous roulons toujours derrière des chevaux.
    Cet échange se répétait un peu trop souvent au goût d’Élisabeth. Pour tromper son ennui, elle regarda le quatuor vêtu de noir, debout, à proximité des employés de chez Lépine. Ceux-ci s’efforçaient de faire entrer le cercueil dans le corbillard, une voiture de bois richement ornée de sculptures. Ses flancs, formés de grandes vitres, laissaient voir la bière reposant sur un lit de

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