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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fleurs.
    Quand le chef de l’équipe de croque-morts, un homme affublé d’une redingote noire lui battant les mollets et d’un haut-de-forme ridiculement allongé, donna le signal, la famille d’Alfred Picard monta dans une lourde berline tirée par deux solides étalons. Le cortège emprunta la rue de la Fabrique, puis s’engagea vers l’est sur Saint-Jean.
    * * *
    Sous un soleil radieux, le long trajet jusqu’au cimetière Belmont revêtait des allures de partie de campagne. Bien sûr, cet état d’esprit s’imposait plus difficilement aux passagers de la grande berline suivant immédiatement le corbillard.
    Rendus à destination, les employés de chez Lépine portèrent le cercueil jusqu’à l’appareil servant à le faire descendre au creux de la fosse. Celle-ci ressemblait à une blessure profonde à la surface du sol. Une toile d’un méchant vert recouvrait l’amas de terre qui, dans moins d’une heure, recouvrirait la dépouille. Très vite, les témoins de ce dernier acte formèrent un cercle irrégulier. Outre la veuve, ses enfants et la famille de Thomas Picard, une quinzaine de personnes se trouvaient sur les lieux. Quelques-unes étaient des relations commerciales, des fournisseurs pour la plupart. Les autres, des hommes, demeuraient de parfaits inconnus. Marie, la tête inclinée vers la bière, réprima un sourire narquois tout en pensant : « Vieux chenapan, se peut-il que certaines de tes conquêtes se trouvent ici? » Une jeune femme se tenait un peu à l’écart avec ses deux jeunes enfants plutôt enclins à babiller. Il s’agissait d’une cliente. Elle reconnut bientôt la fille du médecin de la famille, le docteur Caron.
    Un prêtre prononça sans conviction un dernier éloge funèbre, récita des prières en latin, puis s’esquiva prestement. Les spectateurs les moins proches du défunt suivirent son exemple. Après un intervalle durant lequel les Picard demeurèrent figés, Élisabeth prit sur elle de s’approcher de Thalie pour poser ses deux mains sur ses épaules et prononcer d’une voix émue :
    â€” Ton père était un homme très bon. Je me souviens de notre première rencontre comme si c’était hier. Sans lui, je crois que ce jour-là, je me serais enfuie de chez les Picard à toutes jambes.
    L’évocation de la première rencontre entre la préceptrice de dix-huit ans et le vieux dragon femelle appelé Euphrosine la ramenait à une époque de grandes incertitudes, un peu semblable à celle où se trouvait son interlocutrice.
    â€” Je te souhaite beaucoup de courage, continua-t-elle en déposant légèrement ses lèvres sur les joues de l’adolescente, essuyant des larmes au passage. Toutefois, Alfred te laisse riche de tout l’amour qu’il a eu pour toi. Cela t’aidera toute ta vie.
    Thalie acquiesça, la gorge serrée. Sa tante passa devant Mathieu en tendant la main. Elle lui dit aussi quelques mots. Devant Marie, elle répéta le geste posé pour la fille, esquissa une caresse sur les épaules, descendit ses mains sur les avant-bras avant de dire d’une voix éteinte :
    â€” Comme c’est triste.
    â€” Le plus triste aurait été de ne jamais le trouver sur mon chemin.
    Les deux femmes apprécièrent tous les sous-entendus contenus dans ces quelques mots. Élisabeth prononça dans un souffle :
    â€” M’autorisez-vous à vous visiter encore?
    Depuis 1908, ces belles-sœurs partageaient un repas trois ou quatre fois dans l’année.
    â€” J’en serais heureuse.
    Les baisers sur les joues suivirent, puis elle passa à Gertrude, qui mérita une poignée de main et des vœux sincères. Édouard avait emboîté le pas à sa belle-mère, de même qu’Eugénie. Tous les deux se limitèrent aux mains serrées et aux formules convenues. Thomas vint ensuite. Le « mes condoléances » adressé à Thalie fut récompensé d’une brève inclinaison de la tête. Devant Mathieu, il déclara :
    â€” Si je peux être utile à quelque chose…
    â€” Comme vous me le disiez l’autre jour, notre affaire est solide. Nous ne manquerons de rien, répondit le garçon d’une voix un peu

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