Le prix du sang
virginité, son innocence ». Mais cela, Clémentine ne le possédait plus parce quâelle lui en avait fait lâoffrande. Il murmura plutôt :
â Elle sait vivre, elle a un minimum dâéducation. Jamais elle ne viendrait se tourner en ridicule comme tu le fais, sur mon lieu de travail en plus.
Plus pâle encore, la jolie blonde encaissa mal le choc. Sa main droite se leva pour donner une gifle. Ãdouard arrêta le geste en saisissant le petit poignet. Clémentine essaya alors de se dégager pour prendre la fuite. Il la retint le temps de dire :
â Je vais continuer de payer lâappartement jusquâà lâété prochain. Cela te donnera le temps de voir venir les choses.
Puis, sa main sâouvrit pour la laisser partir. Elle regagna les escaliers au pas de course, dans un bruissement de jupes et de jupons, plus honteuse quâà son arrivée. Après lui avoir pris tout le reste, voilà quâil la privait de sa fierté. Ce petit logement de la rue Saint-Anselme, elle ne pouvait se lâoffrir. Le bail était au nom du jeune homme. Et il lui ferait encore la charité du loyer!
17
Le mardi 25 juillet 1917, la famille Picard se trouvait réunie devant le déjeuner sans montrer un bien grand appétit. Le Soleil était grand ouvert au milieu de la table. Ãdouard commenta, dépité :
â Cette fois, ils lâont, leur foutue loi!
La nouvelle nâen était plus une. La veille, la loi de conscription passait avec une énorme majorité à la Chambre des communes. Dans les fenêtres des divers journaux de la ville, de même que dans celles des bureaux de télégraphe, les résultats du vote se trouvaient affichés.
â Par cent deux voix contre quarante-quatre, compléta Thomas.
â Les seuls opposants sont des libéraux de langue française. Les Canadiens anglais ont déserté Laurier en masse pour appuyer la mesure de Borden.
Les prédictions du vieux chef se réalisaient inéluctablement : poussés par des électeurs partisans de lâenrôlement obligatoire, des députés libéraux du reste du Canada se ralliaient à cette loi dans lâespoir de sauver leur siège lors de la prochaine élection.
â Tu crois que pour toi?... laissa échapper Ãlisabeth en regardant son fils.
Thomas prit sur lui de la rassurer :
â La loi comprend un certain nombre de mesures dâexception, dont une relative aux gens mariés. Ãvidemment, si ce conflit sâéterniseâ¦
â Câest impossible, trancha sa femme. Les Ãtats-Unis sont entrés en guerre en avril, ils promettent de fournir plus dâun million de soldats.
â Aucun de ceux-ci nâatteindra lâEurope avant lâautomne, déclara Ãdouard en posant la main sur lâavant-bras de sa belle-mère. La conscription, ici comme au Royaume-Uni, doit permettre aux Alliés de tenir le coup le temps de voir arriver ces renforts.
Elle referma le journal en secouant la tête, désireuse de voir les deux hommes changer de sujet. Ce geste ne suffit pas. Son époux augmenta encore un peu son inquiétude en ajoutant :
â La menace est dâautant plus grande que les Russes sâécrasent totalement du côté du front de lâest. Cela permet aux Allemands de ramener des troupes en France et en Belgique.
Ãlisabeth posa sa fourchette en travers de son assiette, puis sâessuya la bouche avec sa serviette. Rien ne passerait plus, autant sâen tenir à sa seule tasse de thé. Thomas nâarrivait pas à changer de sujet :
â Que se passera-t-il du côté de la Ligue anticonscriptionniste?
â Les assemblées publiques vont se multiplier, expliqua son fils. Lavergne entend continuer à inviter les gens à défier la loi.
â Cela risque tout simplement de conduire un tas de pauvres types au pénitencier.
â Les cachots de la prison des plaines dâAbraham valent certainement mieux que les champs de bataille.
Ce fut au tour dâÃlisabeth de toucher le bras de son fils pour murmurer :
â Sois prudent, ne te mêle pas à ces protestations. Dans dix jours, tu seras à lâabri de cela.
Le jeune homme acquiesça, sâessuya la bouche, puis quitta la table en disant :
â Je vais démarrer la voiture.
Après avoir entendu la
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