Le prix du sang
porte dâentrée se refermer sur lui, Thomas demanda à voix basse :
â Viendront-ils au mariage?
â ⦠Les faire-part viennent tout juste dâêtre postés. Nous ne le saurons pas avant quelques jours.
La tradition voulait que le père de la mariée assume les frais de la noce et sâoccupe des divers aspects de la cérémonie. Le samedi précédent, Ãvelyne Paquet, tout effarée, avait sonné à la porte de la rue Scott. La jeune femme venait de découvrir que la famille de madame veuve Alfred Picard ne figurait pas sur la liste des personnes à inviter. Elle paraissait sur le point dâéclater en sanglots face à cet impardonnable impair. Ãlisabeth, peu désireuse de partager des secrets de famille, avait feint de ne pas comprendre les raisons dâun pareil « oubli ».
Elle nâavait toutefois guère dâautre choix que de laisser sa future bru mettre une invitation à la poste. Autrement, lâabsence des seuls parents vivants dâÃdouard ferait trop jaser.
â Dans mes pires cauchemars, confessa le commerçant, jâimagine Marie hurlant ses accusations en pleine basilique, juste avant lâéchange des vÅux.
â De sa part, cela nâaurait aucun sens, le corrigea son épouse. Mais cette jeune fille de la Basse-Ville a des motifs plus sérieux de sâexprimer.
Lâhomme demeura interloqué, puis avoua :
â Je nây avais même pas pensé⦠Moi qui espérais me faire rassurer. Si tu avais vu la scène au magasin! Lâhistoire a fait le tour des employés en moins dâune heure.
Bien que fort désagréable, lâévénement ne nuisait pas vraiment à la réputation du jeune homme. Même les vendeuses tendaient à pardonner les frasques du charmant garçon du propriétaire, si gentil et si souriant. Elles préféraient condamner la maîtresse abandonnée, prêtes à lui concéder tous les torts dans cette histoire.
Toutefois, le jeune homme avait demandé le renvoi immédiat du secrétaire, pour son « indiscrétion ». Pareil manque de jugement troublait un peu son père. Chasser cet employé entraînerait irrémédiablement une avalanche de révélations sur les secrets glanés au fil des ans, amplifiés par la colère. Pour cela, cet homme méritait des égards.
â Je rendrai visite à Marie demain, déclara Ãlisabeth en se levant. Tu dois aller travailler.
Thomas quitta sa place en prenant une dernière gorgée de thé et demanda, au moment dâatteindre le hall dâentrée :
â Tu crois que câest une bonne idée?
â Certainement. Tu sembles oublier que nous sommes devenues amies.
Le mot paraissait un peu exagéré pour désigner la nature de leur relation. Pourtant, leurs quelques rencontres annuelles se révélaient fort agréables.
* * *
â Cet homme ne changera jamais, commenta Gertrude en rendant le petit carton beige à sa patronne. Vous inviter au mariage de son fils!
â Lâinvitation vient de la famille Paquet, répondit Marie. Je mâétonne cependant de figurer parmi la liste des invités.
La domestique haussa les épaules, comme si la précision ne revêtait aucune importance, et regagna la cuisine.
La boutique ALFRED venait de fermer ses portes. La famille se trouvait réunie dans la salle à manger pour le souper. Très régulièrement, la mère levait les yeux sur son fils. Mathieu arborait sans fierté particulière son uniforme de sous-lieutenant du 22 e bataillon. Sa scolarité antérieure et sa relative connaissance de lâanglais lui valaient le privilège de recevoir une formation dâofficier. Robuste, de grande taille, les jeunes femmes se tournaient sur son passage. La complaisance du commandement du camp Valcartier lui permettait de se trouver avec sa famille : des volontaires comme lui représentaient la meilleure publicité pour le bureau de recrutement.
â De toute façon, ils nâavaient pas le choix, intervint le garçon de sa voix posée. Nous sommes sa seule famille. Les Paquet doivent avoir une collection dâoncles, de tantes, de cousins et de cousines. De son côté, tu lâimagines avec quelques fournisseurs et des amis fidèles du Parti libéral?
Marie posa sur lui ses
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