Le prix du sang
dâun meilleur siège et se pencha en avant jusquâà toucher la porte du sommet de son front pour laisser finalement échapper de longs sanglots muets. Trois ans presque jour pour jour après leur première rencontre, lâidylle improbable se terminait.
* * *
Malgré son nouveau titre, Ãdouard agissait toujours comme chef de rayon des vêtements pour femmes. Tout au plus, sa rémunération se trouvait un peu plus généreuse, et son père lui demandait son avis au moment de passer des commandes aux fournisseurs de lâentreprise.
Posté derrière la caisse enregistreuse, son ventre se noua à la vue de Clémentine. Les cheveux en désordre, les paupières enflées dâavoir tant pleuré, le visage chiffonné, elle cria depuis lâétalage de jupons, situé à une trentaine de pieds :
â Salaud! Quâest-ce quâelle a de plus que moi?
Le jeune homme contourna le comptoir alors que les regards de trois vendeuses et dâun nombre dix fois plus élevé de clientes convergeaient dans sa direction. Il attrapa le bras de sa maîtresse tout en grommelant :
â Ne te donne pas en spectacle de cette manière.
â Salaudâ¦
Vingt ans après le père, le fils se voyait affublé du même qualificatif, en plein commerce. Sans ménagement, la main crispée sur son bras, il lâentraîna vers lâouverture percée dans le mur mitoyen permettant dâaccéder aux locaux administratifs situés dans lâédifice voisin. Elle protesta :
â Lâche-moi, tu me fais mal!
Ne pouvant espérer une discrétion totale, Ãdouard trouva la présence du secrétaire de son père moins intimidante que celle des vendeuses. Un regard amusé sur le visage, les doigts suspendus au-dessus du clavier de la machine à écrire, ce dernier surveillait la scène de mauvais vaudeville.
â Pourquoi venir ici te donner en spectacle?
â Salaud, salaud, salaud! Encore hier, quand tu es venu me fourrer, tu sortais directement de son salon!
Les gros mots appris durant son enfance revenaient naturellement. Sa colère et sa peine lui enlevaient toute pudeur, au point de clamer son péché devant un étranger.
â Ne dis pas de sottisesâ¦
Le ton mal assuré de son amant lui donnait raison. Combien elle se sentait sotte, en ce moment! Trois ans à espérer, à piétiner tous ses principes moraux pour le retenir près dâelle dans lâespoir naïf de lâamener au mariage. Elle se sentait comme le torchon jeté à la poubelle après avoir été trop utilisé. La nouvelle apprise dans les toilettes de la Quebec Light avait enlevé le bandeau de ses yeux. Cette finale sâavérait inévitable, elle le sentait depuis le premier jour, tout en refusant lâévidence.
« Quelle sotte! » se répétait-elle sans cesse. Passant en revue de vieux numéros du Soleil , elle avait trouvé dans les notes sociales lâannonce du mariage prochain. Les mots lui brûlaient encore les yeux : « Monsieur et madame T. Picard, de la rue Scott, annoncent le mariage prochain de leur fils, Ãdouard, avec mademoiselle Ãvelyne Paquet, fille de monsieur et madame F. Paquet, de la Grande Allée. »
Comment cet entrefilet vieux de quelques semaines lui avait-il échappé? Elle parcourait le feuilleton publié dans ce journal tous les samedis!
â Jâai cru que tu mâaimais. Idiote, idiote, idiote!
Le garçon leva les yeux un moment, le temps de voir le sourire narquois sur le visage du secrétaire. « Un jour prochain, se dit-il, cet imbécile se cherchera un nouvel emploi. »
â Tu mâas menti! ragea la jeune femme.
â Je ne tâai jamais menti, je ne tâai jamais rien promis. Nous avons eu du bon temps ensemble.
Câétait vrai. Il nâavait rien promis. Dâun autre côté, jamais il nâavait détrompé ses espoirs, profitant sans vergogne de tous les avantages de lâambiguïté de leur relation.
â Quâest-ce que tu trouves de si intéressant à cette garce de la Grande Allée, à part lâargent de son père? Quâa-t-elle que je nâai pas? Je parie quâelle ne te laisse même pas la toucherâ¦
Un instant, Ãdouard pensa répondre : « Justement, sa
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